La justice choisit de poursuivre le maire incendiaire du camp
Le parquet de Colmar ouvre une enquête pour «destruction de biens».
par Thomas CALINON
QUOTIDIEN : mardi 17 janvier 2006
Colmar envoyé spécial
Michel Habig, le maire (UMP) d'Ensisheim, dans le Haut-Rhin, qui a fait brûler la semaine dernière un campement de quatorze caravanes installées illégalement sur un terrain communal (Libération d'hier), devra-t-il répondre de ses actes devant le tribunal correctionnel comme un banal incendiaire de voitures ? Cela pourrait même être pire, selon le parquet de Colmar, qui a ouvert une enquête de flagrance pour «destruction de biens appartenant à autrui par l'effet d'une substance incendiaire». Un délit passible de dix ans d'emprisonnement et 150 000 euros d'amende si l'affaire devait arriver devant la justice. «Au pénal, indique le procureur Pascal Schultz, une caravane est un domicile, comme une maison».
«Pas de requête». «L'incendie volontaire de caravanes ne fait pas partie, a priori, des moyens qui sont mis à disposition des élus pour résoudre quelque problème que ce soit», rappelle le procureur général près la cour d'appel de Colmar, Bernard Legras. Hier, Pascal Schultz a précisé que «la seule possibilité juridique pour conduire l'opération eut été que le maire bénéficie d'un jugement rendu par le président du tribunal de grande instance de Colmar, agissant en référé, ordonnant l'expulsion des occupants et éventuellement la destruction des caravanes. Je peux attester qu'à l'heure actuelle, aucune requête en ce sens n'a été déposée par la ville d'Ensisheim ou par l'un de ses représentants». Lors d'une réunion avec des représentants de la sous-préfecture et des gendarmes, le 21 décembre, la mairie d'Ensisheim avait pourtant annoncé son intention de lancer cette requête. Sans suite.
Au-delà du ferme rappel à la loi, les explications fournies par le parquet mettent en lumière les approximations du maire. Pascal Schultz dément formellement la version de Michel Habig selon laquelle c'est à la suite d'«une commission rogatoire du procureur de Colmar» que des gendarmes ont effectué, mercredi 11 janvier à l'aube, une descente dans le camp installé à l'automne et où vivait une quinzaine de personnes roumaines et croates. Population qualifiée de «fluctuante» et «vivant d'on ne sait quoi» par Michel Habig.
«Frais». Contacté hier, l'édile, vice-président du conseil général du Haut-Rhin, jure de sa «bonne foi» : «Les lieux avaient été désertés. Il était très difficile de mobiliser des bennes pour évacuer tout ça. Ç'aurait été beaucoup de frais pour la commune. Pour réduire le volume, nous avons décidé d'incendier les caravanes, ou plutôt les carcasses, car tout était insalubre. Si j'avais su que cette affaire allait prendre cette ampleur, je n'aurais pas fait ça. C'était simplement une question d'efficacité.»
Selon l'enquête menée par les gendarmes auprès du personnel municipal, Michel Habig a tout d'abord tenté de faire tracter l'une des caravanes, qui se serait «disloquée». Il a alors fait asperger la carcasse d'essence et à lui-même allumé le feu avec un chiffon. Les treize autres caravanes ont ensuite été projetées dans le brasier à l'aide d'un chariot élévateur. Six gendarmes étaient présents au moment des faits. «Ils ont été mis devant le fait accompli», affirme Pascal Schultz. Deux Roumains se sont présentés l'après-midi à la gendarmerie d'Ensisheim dans l'espoir de récupérer leur permis de conduire et des vêtements, partis en fumée. Aucun n'a déposé plainte, «mais il était de mon devoir d'ouvrir une enquête sur cette affaire», explique le procureur de la République.
Loi Besson. Les suites de l'affaire sont désormais entre les mains du parquet de Strasbourg, la juridiction colmarienne s'en étant dessaisie hier en raison des «relations habituelles» qu'elle entretient avec la commune d'Ensisheim, où est implantée une maison centrale de l'administration pénitentiaire. Ensisheim, qui compte 6 700 habitants, doit construire cette année une aire d'accueil pour les gens du voyage afin de se mettre en conformité avec la loi Besson. «La question des gens du voyage est particulièrement sensible dans notre commune», témoigne la conseillère municipale d'opposition Catherine Hoffarth (PS).
En 2001, deux tas de purin avaient été déversés sur les chemins menant à un campement illégal dont la mairie tentait d'obtenir l'expulsion. Certains riverains avaient assuré que c'était une camionnette de la commune qui avait déposé le lisier. Cette version avait été démentie à l'époque par Michel Habig, qui avait également assuré que la coupure d'un câble électrique alimentant le campement par une tondeuse de la mairie «n'était pas un acte volontaire».