Posté 17 mai 2024 - 20:11
J'avais 7 ans quand mon père m'a emmené pour la première fois à Bonal. C'était en avril 1978 pour un quart de finale de coupe de France face à l'OM de Marius Trésor.
Mais c'est la saison 79/80, celle où l'on termine 2eme du championnat derrière Nantes, après avoir frôlé le titre jusqu'à la 36eme journée et cette défaite mythique à Marcel Saupin (ancêtre de la Beaujoire) pour ce qui constituait la finale de la saison, que j'ai définitivement attrapé le virus.
Pour la suite, c'est là :
Intervenant régulier du forum, "Pote au laid" revient sur l'inoubliable parcours du FCSM en coupe UEFA version 1980/1981 raconté au travers de ses yeux d'enfant de l'époque :
Mercredi 22 avril 1981 - 20H30.
Il y a école demain. Mais ce soir, exceptionnellement, j’ai le droit de regarder la télé. Et ce droit, chose plus exceptionnelle encore, je n’ai pas eu à me battre pour l’arracher. Nul besoin d’argumenter, nul besoin de bouder, d’acheter l’appui fraternel ou de promettre monts et merveilles à des parents à cheval sur les heures de sommeil de leur progéniture. Non, car ce soir est particulier.
Ce n’est pas la 1ère diffusion télévisuelle de « La grande vadrouille » qui est en jeu, le « Numéro 1 » des Carpentier ou l’Eurovision de la chanson. Pas même un match de qualif’ pour la coupe du monde espagnole de la bande à Platoche.
Non, ce soir, s’il est bien question de mon sport et de mon équipe préférés, les projecteurs de la télévision sont braqués vers une équipe de jeunes francs-comtois devenus, le temps d’un printemps, les héros par intérim de la France sportive.
Ce soir, exit le grand Saint-Etienne, éternel favori, depuis cette fameuse nuit de Glasgow, au titre tant attendu de 1er club français vainqueur d’une coupe européenne. Exit le jeu ô combien loué des canaris nantais, champions de France en titre. Ce soir, comme le chante pour quelques jours encore le pape du reggae, l’heure est à la rédemption ! Le peuple du ballon rond va s’émanciper de l’esclavage mental. Ce soir, la France du football n’est ni jaune ni verte, elle est « jaune et bleu » !
Tour après tour, au gré des joutes européennes et des éliminations de leurs vedettes habituelles, les Français ont fini par s’intéresser à ces lionceaux affamés, pour la plupart formés à l’ombre des usines Peugeot, plus durs au mal que les ouvriers locaux, empreints d’une modestie non feinte et auteurs de performances chaque fois plus surprenantes.
Ce soir, Bosman a 16 ans et n’est pas encore à l’arrêt. La mondialisation du football n’est pas d’actu. La coupe UEFA, qui regroupe les meilleurs clubs du vieux continent, à l’exception des seuls champions, ne s’appelle pas encore Europa League et surtout, elle n’a rien d’un pis-aller pour clubs privés de compétition cannibale. L’idée même de ne pas aligner les meilleurs joueurs à disposition, d’en reposer certains en prévision du match de championnat de samedi n’existe pas ! L’envie est totale, en France comme aux Pays-Bas (1).
Alors ce soir est mon soir. Rien ni personne ne me privera de télé, et du reste, personne n’oserait y songer tant ce club est devenu ma passion...
Mercredi 22 avril 1981 – 20h40 – Tchouki (2) vient d'ouvrir le score
Putain ils vont le faire ! A la bastiaise ! Le successeur de l’Ajax du grand Johann, terreur du championnat batave, tremble dans son antre.
Privé d’Abdel, tombé au champ d’honneur de Bonal quinze jours plus tôt (ou si vous préférez Mr Roland, "fauché comme un lapin en plein vol"), de Moussa et du gamin corse, usés jusqu’à la corde par une saison à rallonge, contraint de bouleverser son schéma tactique, de piocher dans la classe biberon pour remplir la feuille de match, René le sorcier va aller au bout de son rêve, de mon rêve… Comtois rends-toi, nenni ma foi (3) !
Mercredi 22 avril 1981 – 21H50 – 3ème but hollandais
L’héroïsme, l’inconscience de la jeunesse n’y suffisent plus. Le rêve passe. Les blessures, encore, la fatigue, toujours... L’arbitrage de M. Rainea et le jeu chatoyant des tuniques rouges finissent d’en venir à bout. L’heure est déjà à la nostalgie.
Sochaux - AZ 67 Alkmaar: 1 - 1
AZ 67 Alkmaar - Sochaux: 3 - 2
Je me souviens…
Les débuts de l’aventure… Le Servette et son maillot grenat. La malédiction des éliminations au 1er tour enfin vaincue. Le droit de vivre deux soirées européennes de plus … (4)
Sochaux - Servette Genève: 2 - 0
Servette Genève - Sochaux: 2 - 1
Je me souviens…
Le poste radio dans la cuisine familiale. Une voix qui crie à l’injustice. Mais bon dieu, il était hors jeu d’un kilomètre cet attaquant portugais (5) !
Cette même radio, 15 jours plus tard. Un manager qui justifie son surnom ésotérique. Un gaucher aussi fantasque que yougoslave qui endosse l’uniforme de sauveur. Des minutes qui paraissent des heures… Et la libération, enfin. Celle d'un petit garçon qui saute de joie, seul dans la cuisine (6).
Mais oui papa, puisque je te le dis ! On en reprend pour deux matchs !!!
Sochaux - Boavista: 2 - 2
Boavista - Sochaux: 0 - 1
Je me souviens…
Le rouleau compresseur allemand, des filets qui n’en finissent plus de trembler. Le remake de la déroute bleue en terre teutonne quelques jours plus tôt. Putain, mais c’est mon anniversaire merde ! Faut leur dire aux saucisses que j’ai dix ans aujourd’hui !!!
Aaah, ben voilà ! Deux erreurs de défense comme autant de lueurs d’espoir dans le froid glacial d’Outre-Rhin. Comment dit-on merci en allemand ? Le droit de rêver, quinze jours de plus… Pas mal comme cadeau … (7)
Une balle jaune sur un tapis blanc. Un vieux gaulois à genoux dans la neige, gagnant quelques précieuses minutes, la malice aux coins des lèvres. Un avant-goût de nuit andalouse, la conclusion en moins. L’ogre allemand est terrassé ! Merci père Noël (8) !!!
Eintrach Francfort - Sochaux: 4 - 2
Sochaux - Eintrach Franfort: 2 - 0
Je me souviens…
Et merde. 5mn à jouer. Elle avance beaucoup trop vite cette pendule ! Mais oui monsieur l’arbitre, il y a bien faute ! C'est ça, coup-franc !
Allez Tchouki, tu peux le faire. S’il te plait, tu peux le faire. Non, pardon, tu DOIS le faire !
Ça ne peut pas s’arrêter maintenant. Pas face à des sauterelles. On a éliminé les tenants du titre bordel ! Allez Tchouki, dans un peu plus d’un an tu auras l’occasion de faire admirer ton coup de patte magique au monde entier, mais ce soir fais le pour Bonal, fais le pour moi, juste pour moi ! LUCAAAAAAAAAAAAAARRRRRNE (9) !!!!!!!!!!
Grasshoppers Zurich - Sochaux: 0 - 0
Sochaux - Grasshoppers Zurich: 2 - 1
Mercredi 22 avril 1981 - 22H15
Voilà, c’est fini. Les dieux du football on lâché les lionceaux. Les comtois ont fini par se rendre (10).
Quoi ? Mais non maman je ne pleure pas ! Sûrement une poussière dans l’œil !
Pffff, m’en fiche de ce match !
Oui, m’en fiche ! Même pas mal d’abord !
Parce que vous verrez, un jour, un autre grand d’Europe, teuton tant qu'à faire, sera à nouveau terrassé en terre comtoise.
Et puis tiens, je vous le dit, un jour, un capitaine jaune et bleu brandira enfin une coupe devant des yeux redevenus d’enfant. Des yeux une nouvelle fois remplis de larmes, jaune et bleu, toujours, mais qui cette fois, seront celles du bonheur…
J’ai dix ans,
Je sais que c’est pas vrai mais j’ai dix ans,
Laissez moi rêver que j’ai dix ans…
PAL
A René, Jean-Pierre et aux autres…
(1) 3 coupes européennes sont à cette époque disputées chaque saison. La coupe des clubs champions (ou C1), ancêtre de la ligue des champions, n’aligne que les vainqueurs des championnats nationaux. La coupe des vainqueurs de coupe (C2) concerne le vainqueur de chaque coupe nationale. Créée en 1971, la coupe de l’UEFA (C3) rassemble donc les 2ème, 3ème voire 4ème et 5ème des championnats nationaux, clubs qui ont aujourd’hui et pour une bonne moitié d’entre eux, la possibilité de disputer la ligue des champions. Dotée d’un tour de plus que ses deux sœurs, la C3 est alors considérée comme une compétition majeure. Elle est selon les spécialistes, aussi sinon plus difficile à remporter que la C1. Son palmarès parle pour elle : Tottenham (1972), Liverpool (73 et 76), Feyenoord Rotterdam (74), Borussia Mönchengladbach (75 et 79), Juventus Turin (77), PSV Eindhoven (78) et Eintracht Francfort (80).
(2) Surnom de Bernard Genghini, meneur de jeu de l’équipe vice-championne de France en 1979/80, demi-finaliste de cette coupe UEFA 1980/81 (dont Bernard terminera meilleur buteur), et 3ème du championnat 1981/82. Membre du fameux carré magique (avec Tigana-Giresse et Platini) avant l’avènement de Luis Fernandez, il disputa deux coupes du monde (1982 et 86) et s’illustra dans les plus grands clubs français des années 80. De retour au FCSM sous l’ère Plessis, il s’occupe actuellement du recrutement et conseille Alexandre Lacombe.
(3) Par ordre d’apparition, les plus anciens auront aisément reconnu Abdel Djaadaoui (victime d’une rupture du tendon d’Achille à la 47ème minute de la demi-finale aller face à AZ67 Alkmaar), Moussa Bezaz, Philippe Anziani et bien sûr, René Hauss, manager général du club de 1973 à 1985 et homme d’exception.
(4) 01/10/1980 - 32ème de finale UEFA retour – Le FCSM s’incline à Genève 2 buts à 1 mais se qualifie pour la 1ère fois de son histoire pour un 2ème tour européen, au bénéfice du doublé inscrit à Bonal au match aller.
(5) 22/10/1980 – 16ème de finale UEFA aller – Stade Bonal - L’attaquant du Boavista Porto Julio ouvre la marque à la 27ème minute, but entaché d’un hors-jeu flagrant. Score final : 2 buts partout.
(6) 05/11/1980 – 16ème de finale UEFA retour – René HAUSS, ancienne gloire du Standard de Liège en tant que joueur puis entraineur (club dont les résultats lui vaudront le surnom de sorcier), décide d’adopter un schéma révolutionnaire pour palier les nombreuses absences et tromper l’ennemi (il ira même jusqu’à affubler les joueurs sochaliens de numéros fantaisistes) ; une stratégie qui se révèlera payante puisque Salih Durkalic, auteur du seul but de la rencontre, qualifiera les siens à un quart d’heure de la fin.
(7) 26/11/1980 – 8éme de finale UEFA aller – Le FCSM se déplace chez le tenant du titre, l’Eintracht de Francfort et ses multiples internationaux. A l’issue d’une première heure irrésistible, les allemands mènent 4 buts à 0 à la 75ème minute, imitant la nationalmannschaft (victorieuse du coq français une semaine plus tôt à Hanovre par 4 buts à 1). Un sursaut d’orgueil, un excès de supériorité et un quart d’heure plus tard, l’arbitre sifflait la fin du match sur le score plus présentable de 4 buts à 2.
(8) 10/12/1980 – 8ème de finale retour – Stade Bonal - Patrick Revelli, surnommé le vieux gaulois en raison de sa moustache et de sa longue expérience européenne avec l’AS Saint-Etienne, inscrit un doublé synonyme d’exploit.
(9) 18/03/1981 – Quart de finale retour – Stade Bonal – Après avoir décroché un prometteur 0-0 sur le terrain des Grasshoppers de Zurich, les sochaliens sont rapidement menés au score sur leur pelouse fétiche. Malgré une égalisation rapide de Durkalic, il faudra finalement attendre la 85ème minute et le chef d ‘œuvre de Tchouki pour que Bonal explose enfin et chavire de bonheur.
(10) Après avoir perdu Jean-Luc Ruty (qui jouait déjà sur une jambe) sur blessure (une de plus), et malgré un dernier baroud d’honneur au courage, les sochaliens ne parviennent pas à inscrire le but égalisateur qui les qualifierait pour la finale. Ils s’inclinent 3 buts à 2 en terre batave et quittent l’Europe par la grande porte.
A inscrire sur ma pierre tombale: Supporter du FCSM et keuf, ci-git PauL, l'homme qui aimait les sacerdoces...