un peu de lecture pour les voisins hexagonaux
Pour le général Bigeard, l'officier français le plus décoré, la France «va à la dérive». Il le crie dans son dernier livre «Adieu ma France»Nos voisins ont le blues. Le général Bigeard veut les réveiller.
«La France a besoin d'un De gaulle»
L'homme de la bataille d'Alger, héros pour les uns, tortionnaire pour les autres, fustige dans son dernier livre la décadence française. Un déclin politique, économique, mais aussi social à son avis. Attention saignant.
envoyés spéciaux à Toul Sid Ahmed Hammouche Patrick Vallélian
Le coq français a la crête en berne. Et cela n'a rien à voir, ou presque, avec la grippe aviaire. Non, la France a mal à ses finances publiques - son endettement est pharaonique. Elle a mal à son chômage qui, malgré les réformes, ne fond pas. Elle a mal à son aura internationale depuis le rejet populaire de la Constitution européenne. Elle a mal également à ses banlieues qui se sont enflammées cet automne. Et depuis quelques jours, elle a mal à ses étudiants qui descendent dans la rue pour lutter contre le contrat première embauche, le nouveau contrat de travail réservé aux jeunes et qui permet à un employeur de licencier sans motif pendant deux ans.
Ce défaitisme, le général Marcel Bigeard le fustige dans son dernier livre «Adieu à ma France» (Editions du Rocher). Mais l'officier le plus décoré de France, le héros de la résistance contre les nazis et des guerres coloniales d'Indochine et d'Algérie, le comprend. Lui non plus ne se reconnaît plus dans son pays. Prenant le contre-pied de la «positive attitude» chantée par le Gouvernement français pour remonter le moral de ses concitoyens, le nonagénaire lance sa «mitraillette attitude». Et tire sur tout ce qui bouge, en commençant par le président Chirac. Rencontre dans sa maison de Toul.
«La Liberté»: Votre livre est classé dans les premières ventes et pourtant on ne vous a pas vu faire de la promotion sur les chaînes de télévision nationales. Vous avez refusé des interviews?
Maurice Bigeard: - Pas du tout. Les grands médias français ne veulent pas de moi. Mais Bigeard est tout de même passé sur des radios, comme France Info ou RTL et dans plusieurs journaux régionaux français.
Comment expliquer votre succès sans l'appui des TF1, France 2 ou «Le Monde»?
C'est mon quinzième livre. Il y a un public Bigeard, souvent d'anciens soldats qui ont combattu à mes côtés. Mais ce qui me réjouit, c'est qu'au classement des meilleures ventes, j'arrive deuxième, devant le pape et son «Dieu est amour».
C'est aussi un sacré coup de gueule sur l'état de la France. Votre première cible: le président Jacques Chirac que vous traitez de traître à la patrie. Pour vous, il a bradé ce qu'il restait de la grandeur de la France.
Si Jacques Chirac me convoque, je le regarderai dans les yeux et je lui dirai: «Quelle est ta carrière». D'ailleurs, je me suis préparé à aller en prison au cas où. Mais attention, en six mois, je formerais un commando de taulards qui foutrait une branlée au pays. J'ai encore de l'énergie.
Comment réagit le gouvernement à vos écrits?
L'autre jour, j'ai été invité à Paris par une ministre, dont je tairai le nom. Je lui ai confirmé ce que j'ai écrit. Je n'ai rien à cacher. Elle était d'accord avec moi. Bigeard, ça compte dans l'opinion. J'ai déjà deux avenues, deux rues, un rond-point, une place à mon nom. Ces jours-ci, je reçois 150-200 lettres de Français de tous les âges.Ils me disent qu'ils en ont marre. Ils veulent autre chose. Je suis leur porte-voix. Ras-le-bol.
Pour vous, la France a dégringolé...
Après avoir couru durant 50 ans derrière son empire perdu, elle est petite désormais. Regardez ce qui s'est passé avec le porte-avions «Clemenceau»! Si la France était encore une grande puissance, on ne nous emmerderait pas avec cela. Non, franchement, c'est la catastrophe autant politique qu'économique et sociale. De moins en moins de Français se battent pour notre idéal de société. Il y a de plus en plus de pauvres. Regardez aussi cette insécurité galopante.
Quel avenir pour la France?
Il nous faut un sauveur, un exemple, un type intouchable. Ni de gauche. Ni de droite. Droit dans ses bottes. Un gars qui saura redonner confiance aux Français. Il devra leur rendre leur fierté et leur combativité.
Vous par exemple?
Certains me disent que si j'avais quinze ans de moins, je pourrais l'être. Mais ce n'est pas à 90 ans que je vais revenir en politique. A la rigueur, si tout va mal en France, je veux bien prendre un poste de secrétaire d'Etat dans un ministère.
Et ce nouveau chef, c'est qui? Le Pen? Il faut avouer que votre manière de tirer sur les élites fleure bon le Front national...
Ne me parlez pas de Le Pen! Je n'ai rien contre lui, mais mon discours n'a rien de celui d'un partisan de l'extrême droite. Mon seul parti, c'est la France.
Alors qui pourrait être ce sauveur?
Pour l'instant je vois plutôt Nicolas Sarkozy devenir notre prochain président. Même si je suis sûr qu'il va se casser la gueule à cause des syndicats et de l'état d'esprit des Français. Et là, peut-être qu'un type dira «il y en a marre» et il sera suivi.
Comme de Gaulle autrefois?
Exactement. La France a besoin d'un nouveau de Gaulle. Il faut que les gens sentent que ce chef navigue pour ce pays. C'est pour cela que les TV ont peur de mon message. Il fait peur.
Vous écrivez que votre bouquin est un livre-testament. Vous sentez la mort arriver?
Je sens arriver mon dernier quart d'heure. Mais je m'en vais avec le sourire après avoir dit ce que j'avais à dire. Le bon Dieu ne peut m'attendre qu'avec le tapis rouge.
source: www.laliberte.ch (article de ce jour)