Vous savez que la crise iranienne devrait arriver à son terme bientot, et que le dossier sera traité la semaine prochaine devant le conseil de securité de l'ONU
Voila un point de vue interessant d'une opposante iranienne au régime
LE MONDE | 06.03.06 | 14h39 • Mis à jour le 06.03.06 | 14h39
Avec l'Iran, seule la fermeté peut empêcher la guerre, par Maryam Radjavi
n décidant de transférer le dossier nucléaire de la théocratie iranienne au Conseil de sécurité, le monde vient de franchir un pas décisif face à un pouvoir hors norme. Mais il reste un long chemin à faire jusqu'à l'adoption d'une politique juste et efficace.
Nous arrivons au terme de seize années de politique de complaisance des gouvernements occidentaux à l'égard des présidents Hachemi Rafsandjani et Mohammad Khatami, et de trois années de négociations intenses, mais infructueuses, avec la troïka européenne. Cette politique n'a fait qu'offrir au Guide suprême des mollahs, Ali Khamenei, le temps et les moyens de faire un choix stratégique : installer au pouvoir les bandes les plus fascistes, boucler le cycle nucléaire et exporter son intégrisme au Moyen-Orient. Je dis bien Ali Khamenei, parce que toutes les décisions importantes sont prises en sa présence au Conseil suprême de sécurité nationale, dominé par les pasdarans (gardiens de la révolution). Mahmoud Ahmadinejad est le fer de lance de ce choix stratégique. Il a pour tâche principale de garantir la survie de son régime en le dotant de l'arme nucléaire, en annexant l'Irak et en sabotant le processus de paix dans la région. La théocratie n'a aucune capacité à se réformer ni à changer de l'intérieur.
Le répit accordé au régime a permis d'achever les travaux sur les sites nucléaires d'Ispahan et de Natanz et de l'usine de production d'eau lourde d'Arak. Dès la fin de l'année prochaine, il pourra produire du plutonium, qui peut servir à la fabrication de la bombe. A Natanz, il a de quoi installer 5 000 centrifugeuses qu'il a fabriquées. Il a également produit et stocké des missiles de 1 500 à 2 000 km de portée capables de transporter des ogives nucléaires. L'ancien secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale, chargé des négociations avec la troïka européenne, a reconnu que, durant les négociations, le régime a obtenu "de grands acquis dans les domaines technologique, juridique, politique, de communication et de sécurité nationale. Nous avons réussi à rattraper notre retard dans notre projet nucléaire. (...) En apparence, nous avions accepté la suspension de nos activités, mais en réalité nous avons pu combler la plupart de nos lacunes. (...) Nous avons ainsi retardé la saisine du Conseil de sécurité de l'ONU pour au moins deux ans. (...) Nous avons obtenu les plus grandes concessions dans le domaine de la sécurité". (quotidien officiel Keyhan du 23 juillet 2005).
Ces dix-huit années de dissimulation et ces trois ans de négociations, depuis la mise en route du programme nucléaire iranien, ont mis suffisamment en danger le monde entier et la nation iranienne. Les mollahs ont poussé la région au bord du gouffre. Depuis la saisine par le Conseil de sécurité, Mahmoud Ahmadinejad fait tout pour impressionner le monde. La levée des scellés de l'Agence internationale à l'énergie atomique (AIEA) sur les sites nucléaires, la poursuite de l'enrichissement, la menace de se retirer du TNP, tous les moyens sont bons pour faire du chantage. On évoque même l'arme du pétrole et on brûle les ambassades européennes à Téhéran, pour les contraindre au recul. Pendant ce temps les interminables manoeuvres des mollahs entre les Etats-Unis, l'Europe, la Russie et la Chine vont se poursuivre.
L'exploitation faite par Téhéran de l'affaire des caricatures offensantes du Prophète. Je tiens à dire au passage qu'on ne pouvait offrir meilleure opportunité à un régime aux abois, au lendemain du transfert de son dossier au Conseil de sécurité. Pourtant ce sont les mollahs qui ont le plus porté atteinte à l'image de l'islam et de son Prophète. Ce pouvoir compte sur sa capacité à impressionner. Il place ainsi la communauté internationale devant un choix délicat : céder au chantage en adoptant des pas lents et hésitants qui offrent du temps aux mollahs et acculent à une guerre inévitable, ou au contraire poursuivre une politique ferme d'urgence pour écarter les obstacles au changement en Iran ?
La première attitude vise à changer le comportement du régime, il s'agit d'un mirage qui ne tient pas compte du principal enseignement de l'échec de la complaisance, à savoir l'incapacité de la théocratie à modifier sa nature. Elle sous-estime aussi la détermination de M. Khamenei d'aller de l'avant pour sauver son régime. La deuxième vise à provoquer un changement de régime. Une reculade des pays intéressés devant des manifestations de haine aura pour conséquence de placer très prochainement le monde face à un califat intégriste armé de la bombe atomique.
Le monde n'a donc qu'une attitude logique à adopter, celle de la fermeté. Cela ne veut pas dire qu'il n'y aura aucun prix à payer. Le prix du pétrole va sans doute augmenter, des intérêts économiques à court terme pourraient être en jeu. Mais le choix se situe entre le gris et le noir. Les années d'ambitions occidentales pour tirer profit de la présence des mollahs corrompus à Téhéran ont supprimé tout espoir de solution dite blanche ou gratuite. Cependant n'oublions pas que c'est le peuple iranien qui a payé ces années de plomb avec un tribut de souffrances et de sacrifices. Perdre du temps aujourd'hui, c'est aller droit à la catastrophe. Une politique réfléchie peut à la fois limiter les dégâts et éviter la guerre.
Pour rattraper le temps perdu, il faut décréter d'urgence un embargo en armes et en pétrole, diplomatique et technologique, pour accabler ce pouvoir. Le monde doit savoir que le peuple iranien se tient à ses côtés. Ce peuple, qui demande à plus de 90 % un changement de régime, contrairement à ce que le lobby des mollahs veut faire croire, n'a jamais été favorable au programme nucléaire dans lequel la dictature religieuse dilapide les richesses de la nation. Surtout quand les chiffres officiels parlent de plus de 80 % de la population sous le seuil de pauvreté.
C'est fort de cette même revendication que j'appelle à une nouvelle politique en faveur du peuple iranien et de sa résistance, et à soutenir un changement démocratique en Iran. Pour que le changement soit à portée de la main, il faut traduire en justice, devant un tribunal international, les responsables des crimes et des massacres. Il faut surtout lever les restrictions injustes imposées à la résistance, à commencer par supprimer le nom de la principale force d'opposition, l'Organisation des moudjahidines du peuple iranien (OMPI), des listes du terrorisme. Il faut permettre que la voix des Iraniens soit entendue et ne soit pas assimilée à celle de ses oppresseurs.
Maryam Radjavi a été élue par le Conseil national de la résistance iranienne (CNRI) présidente de la République pour la période de transition.