A Belfort, 80 000 spectateurs pour des Eurockéennes sans gigantisme
LE MONDE | 02.07.07 | 17h48 • Mis à jour le 02.07.07 | 17h49
Les Eurockéennes de Belfort ont pris fin sous la pluie, dans la nuit du dimanche 1er au lundi 2 juillet, avec un des meilleurs groupes du moment pour braver les éléments : les Montréalais d'Arcade Fire, dont le lyrisme tourmenté a fait oublier l'adversité. Grâce à une fréquentation de 80 000 spectateurs, la 19e édition tient son cap, le seuil de rentabilité étant fixé à 73 000 entrées payantes.
La manifestation a consolidé son ancrage régional - 40 % du public vient de Franche-Comté - et même national. Le président du conseil général du Territoire de Belfort, Yves Ackermann (PS), s'est félicité que cette cuvée n'ait pas mis en valeur "de grands groupes qui aspirent les spectateurs mais répartisse le public par scènes". Les programmateurs ont retenu la leçon des cachets budgétivores qui ont mis en péril l'économie du festival à la fin des années 1990. L'un d'eux n'a d'ailleurs pas caché sa déception devant la médiocrité de la prestation offerte par Marilyn Manson, principale tête d'affiche de l'édition 2007.
Ce flop ne risque pas de relancer la course au gigantisme. L'avenir des Eurockéennes passe plutôt par une attention suivie aux talents émergents des musiques actuelles, symbolisée cette année par l'ouverture d'une cinquième scène, le Sound System. Le jeu en vaut la chandelle, sans garantie immédiate de résultats : des musiciens habitués à jouer dans de petites salles sont conviés à se produire sur des scènes parfois surdimensionnées.
Les Eurockéennes ont ainsi pris acte du dynamisme de l'école suédoise (pays anglophone favorisé par une forte culture pop), avec pas moins de trois représentants cette année. Dimanche, on attendait beaucoup de Lonely, Dear, sur la foi d'un premier album empli de jolies harmonies vocales à la Beach Boys et de mélodies enchanteresses façon Belle & Sebastian. Sous les projecteurs, le groupe, dépourvu de charisme, s'en tient à une pop gentillette et proprette. L'envers, en somme, de The Hives. Ce quintette a un sens aigu de la garde-robe (costumes noirs, bretelles et Repetto blanches) et du spectacle. Le répertoire, hélas, n'est qu'un ersatz de celui des Stooges, le groupe d'Iggy Pop.
Entre ces deux écueils, il y a heureusement I am From Barcelona, au nom moins trompeur qu'en apparence. Cette joyeuse confrérie de quinze musiciens, chanteurs, choristes, danseurs évolue dans un univers coloré évoquant les premiers films de Pedro Almodovar. Avec des ballons, cotillons et confettis, ils convient à un anniversaire de mercredi après-midi. Naïf, insouciant, proche de grands illuminés américains comme les Flaming Lips et les Polyphonic Spree, leur excentrisme touche et fait mouche.
Source : LeMonde
Eurockéennes - La force fragile
Malgré le succès de l’édition 2007, où se sont distingués aussi bien JoeyStarr que Bonde Do Role, le festival de Belfort se garde de tout triomphalisme.
Sans mauvais esprit, on peut dire qu’il y a véritablement à boire et à manger aux Eurockéennes de Belfort. Avec ses hectomètres de stands de sandwichs à la saucisse de Montbéliard, de kebabs-merguez et autres indispensables buvettes qui ceinturent la presqu’île du Malsaucy, lieu bucolique des hostilités, le rassemblement ne peut prétendre le contraire. Voilà pour le folklore festivalier.
Côté musique, la réciproque est tout aussi vraie, avec cinq scènes joliment disposées sur le site, de l’écrin soundsystem (1 500 places) à la grande scène (25 000), en passant par la loggia (4 000), la plage (7 000) et le chapiteau (15 000). Une architecture idéale qui autorise toutes les extravagances et combinaisons aux programmateurs (quatre concerts peuvent ainsi se dérouler au même moment) et ouvre formidablement le champ des possibles côté spectateurs. A la condition expresse d’être fouineur et bon marcheur, ce qui est pile poil le profil du festivalier belfortain, «23 ans de moyenne d’âge», selon la statistique locale. C’est cette alchimie de jamboree étudiant et lycéen, voire collégien, et de découvertes musicales qui fait le sel des Eurockéennes, dont la 19e édition, qui s’est déroulée de vendredi à hier, est clairement une réussite. Tant dans la fréquentation (source organisateurs : 30 000 entrées vendredi, 25 000 samedi, 30 000 attendues hier, pour un équilibre financier de 73 000 entrées) que sur le plan météorologique (cieux cléments vendredi et samedi, menaçants hier après-midi).
Pieds d’argile . Ces données sont de toute première importance pour un festival qui, au dire de son directeur, Jean-Paul Roland, reste, malgré son aura internationale, «un colosse aux pieds d’argile», du fait de son autofinancement à hauteur de 84 % sur les 4,5 millions d’euros de budget (dont un quart dédié à l’artistique). D’autant que, du fait de la multiplication des manifestations de ce genre dans l’Hexagone, artistes et tourneurs n’hésitent désormais pas à attiser la concurrence et à faire monter les enchères. «Sur la grande scène, le cachet le plus élevé monte à 150 000 euros, précise Jean-Paul Roland. 20 000 minimum pour le chapiteau.» Autant dire que le risque financier est grand : «C’est de plus en plus compliqué. Nous sommes des associatifs dans un marché capitaliste.» Et la mémoire des Eurockéennes n’a pas oublié les déboires financiers de l’ancienne équipe qui, à la fin du siècle, avaient menacé l’existence du festival. «Depuis 2001, nous avons toujours fait des excédents. Cela assure notre pérennité», ajoute le directeur. Ce qui reste étonnamment un défi, malgré la notoriété de la manifestation : «On se rend bien compte que le public le plus éloigné vient moins.»
Cadors. A Belfort, l’heure n’est donc pas aux projets pharaoniques : «On veut continuer de faire une fête homogène, un joyeux charivari généraliste qui va loin dans les genres, dit encore Roland. Nous n’avons aucune envie d’étendre le festival sur quatre ou cinq jours, mais plutôt de faire d’autres actions dans l’année.»
Le directeur confie nourrir le rêve d’accueillir un jour Prince à Malsaucy. Mais cette année, aux Eurockéennes, les cadors internationaux avaient pour nom Marilyn Manson et Wu-Tang Clan, vendredi, Queens of the Stone Age, samedi, Arcade Fire, Klaxons et The Good, the Bad and the Queen, dimanche. Le premier, à défaut d’emporter le public, avec son metal de plomb et une scénographie caricaturale (micro en forme de couteau, effets pyrotechniques), est parvenu à drainer dans son sillage une cohorte de bébés gothiques du meilleur effet dans les rues de Belfort. Les rappeurs américains, eux, ont sorti le grand jeu, pour le bonheur d’un public acquis d’emblée à leur fausse provoc et à leur vraie frime. Spectaculaires sur scène, comme lors de leur arrivée sur le site sous escorte policière, les figures tutélaires du hip-hop ont réussi l’exploit d’atterrir à Zurich au lieu de Bâle. «On était soulagés de les voir partir», confiera l’organisation.
Côté confirmations, s’il est arrivé avec 25 minutes de retard dans une «Benzbenzbenz» (véridique) radioguidée par les organisateurs, JoeyStarr n’a pas mis longtemps à chavirer la foule. Massif, le Jaguarr est désormais pleinement à son affaire. Il a même fallu couper le son pour le faire quitter la scène avec son backing band, Enhancer. Eminemment plaisant, tout comme le set livré vendredi par la néo-diva soul Amy Winehouse, à jeun à l’évidence, en dépit d’une réputation sulfureuse. La Londonienne au timbre compact et chaud a largement emporté le morceau. A l’instar de Justice, beaucoup plus tard dans la nuit (2 heures). Ou de l’ex-staracadémicienne Olivia Ruiz, qui aurait certainement mérité la grande scène, où plus de monde aurait pu apprécier sa reprise de Marcia Baila avec les Rita Mitsouko themselves, balayés corps et âme par la fougue de leur hôte.
Sucré-salé. Trois vraies découvertes pour les profanes (ou confirmations, pour la frange la plus à la page) resteront dans la mémoire arbitraire de l’édition 2007. La première, Archie Bronson Outfit, barbus anglais que les amateurs de Morphine et de Gun Club seraient inspirés de tracer. La seconde, Cold War Kids : Chant tranchant comme une lame, regard halluciné, pop mélodiquement revêche, Nathan Willet et ses trois colistiers sont de sérieux clients pour qui aime les atmosphères sur le fil du rasoir, le sucré-salé électrique, les cyclones inopinés. Enfin, last but not least, Bonde Do Role, venu défendre son premier album With Lasers au Soundsystem - qui bénéficie à l’évidence de l’engouement pour CSS. Déjanté et sexy, l’electro-funk du trio brésilien emmené par une Björkette latine survitaminée a retourné l’assistance. A surveiller.
Source : Libération