https://www.leparisi...um=Social media
Lienard dans Le Parisien
InterviewSports, Football
« À 20 ans, j’avais la vie de Monsieur tout le monde » : Dimitri Liénard, l’atout cœur de Sochaux
Au crépuscule de sa carrière, il a exaucé son rêve d’enfant en rejoignant Sochaux, son club formateur, où il n’avait pu signer pro. Dimitri Liénard s’exprime sur son parcours atypique et distille des messages sur la façon dont il voit un métier auquel il est très attaché.
Par Harold Marchetti
Le 6 février 2024 à 08h20
Après un départ douloureux de Bastia, Dimitri Liénard a rejoint Sochaux cet hiver. Icon Sport/Emma da Silva
L’ex-capitaine emblématique de Strasbourg s’est engagé le 11 janvier pour dix-huit mois avec Sochaux, le club phare de sa région natale. Il a, ainsi, tourné la page de son départ douloureux de Bastia, où il aura tout de même été titulaire lors de 13 des 14 rencontres jouées en Ligue 2 avant la rupture de son contrat le 16 novembre. À quelques jours de son 36e anniversaire (le 13 février), il se prépare à défier Rennes, ce mardi soir (20h45) en 8e de finale de la Coupe de France. Cet homme empreint d’humilité, portant comme un étendard les valeurs du Doubs, s’est longuement confié avec son verbe rapide et affranchi.
Pour le « paysan de Belfort », selon vos propres termes, c’était le sens de l’histoire d’écrire à Sochaux le dernier chapitre de votre carrière ?
DIMITRI LIENARD. Je ne pouvais rêver mieux pour finir ma petite carrière. Je suis originaire de la région, j’en porte les valeurs. Pour moi, Sochaux était une évidence depuis un moment. J’aurais, peut-être, pu signer plus tôt. Des contacts existaient dès l’été 2023, mais le club ne savait rien sur son avenir. Ça s’est décanté mi-août. J’avais parallèlement entre mes mains une très belle offre de Bastia. J’ai dit banco.
Dans quel état d’esprit avez-vous rejoint Sochaux en janvier ?
Je n’arrive pas avec le costume du super-héros. Je le répète, j’ai grandi ici, je suis venu voir les matchs étant petit. J’ai joué, en amateur ou chez les pros, sur tous les terrains des environs. Je voulais mettre la main à la pâte dans ce projet, avec cette ferveur régionale. J’en ai encore sous le capot et j’espère ramener Sochaux en Ligue 2 le plus vite possible.
Déjà de bien étudier à l’école, d’écouter les parents, de respecter une ligne de conduite et des valeurs humaines. Avant de signer à Strasbourg, j’ai été confronté au monde du travail et j’ai toujours été entreprenant, discipliné et rigoureux. Si je n’avais pas percé dans le milieu pro, j’aurais sans doute réussi dans un autre domaine. Je ne serais pas resté un petit dans mon métier. Il faut toujours croire en ses rêves. Être surtout dans le concret car les réseaux sociaux ne reflètent pas la réalité. La vraie vie, c’est autre chose.
Vous travailliez dans un supermarché quand vous jouiez à Belfort. Imaginiez-vous réaliser une carrière pro, évoluer en Ligue 1 à cette époque ?
À l’âge de 19, 20 ans, le foot pro était fini pour moi. J’évoluais en district le dimanche matin face, sans manquer de respect à quiconque, à des boulangers, des bouchers, parfois à 9 contre 11 sur un terrain semblable à une prairie avec des lignes mal tracées. Même dans mes rêves les plus fous, c’était donc inenvisageable. Affronter Neymar ou Messi sur un match, en Coupe de France, après tout pourquoi pas. Mais m’installer six ou sept ans dans l’élite, gagner la Coupe de la Ligue, être capitaine du Racing, le chouchou de la Meinau, jamais je n’aurais cru ça possible. Si on m’avait prédit pareil destin, j’aurais répondu : non, mais les gars soyons sérieux, vous avez fumé !
Pensez-vous qu’il sera de plus en plus difficile de percer au haut niveau quand on a un parcours singulier comme le vôtre ?
Je le crois oui. Aujourd’hui, les clubs pratiquent le trading et font confiance à des joueurs de plus en plus jeunes. Moi je suis devenu pro à 26 ans seulement. À l’époque du foot business, des trajectoires comme la mienne sont de plus en plus rares.
Vous avez récemment expliqué avoir consenti de gros efforts financiers pour signer à Sochaux. Avez-vous l’impression d’apporter votre écot à la sauvegarde d’un monument du foot français ?
Sochaux est un club mythique. Cela aurait été une tragédie pour la région s’il avait dû disparaître. J’avais un devoir de mémoire, une mission. J’aurais pu repartir en L2, avec un contrat plus lucratif. À 20 ans, je touchais le SMIC. J’ai eu la chance, ensuite, de bien gagner ma vie. L’argent était le cadet de mes préoccupations. Diviser mon salaire par trois ou quatre ne m’a posé aucun problème. Je n’ai eu de cesse de le répéter aux dirigeants doubiens. Ça les a même surpris.
Est-ce le fait d’avoir travaillé en dehors du foot qui vous a permis de garder les pieds sur terre par rapport à l’argent ?
Je suis issu d’un milieu populaire. Quand j’avais 19 ou 20 ans je n’ai pas honte de le dire, dès le 20 du mois, je me disais : est-ce que j’aurais assez sur mon compte pour aller dîner au resto, faire un bowling… J’avais la vie de Monsieur tout le monde. Je connais la valeur de l’argent.
L’argent qui circule dans le foot pro est-il disproportionné selon vous ?
Aujourd’hui, tu joues à peine une dizaine de matchs dans l’élite et on te propose déjà 100 000 euros par mois. Les joueurs concernés auraient tort de refuser. Sinon d’autres accepteront. Je ne veux pas jouer les anciens combattants, mais à mon époque tu devais faire tes preuves sur une saison avant de prétendre à de très bons salaires. C’est complètement fou et déraisonnable, mais c’est l’évolution du football.
À qui la faute ?
Quand à même pas 20 ans, on vous propose de telles sommes, qu’on vous offre une grosse berline, une Rolex, vous pouvez facilement perdre un peu le sens des réalités. D’où l’importance d’avoir un entourage sain. Une structure familiale solide et stable. Quand tu es livré à toi-même, ça peut vite déraper. Je ne jette la pierre à personne. Moi aussi, peut-être, à une certaine période, si je n’avais pas eu des garde-fous autour de moi, j’aurais dépensé sans compter. Il faudrait peut-être instaurer des barèmes indexés sur le nombre de matchs, le statut. Il est quand même difficile de justifier qu’un joueur de 18, 19 ans avec derrière lui 10 ou 15 matchs dans l’élite gagne pareil voire plus qu’un autre de 30 ou 32 ans avec 200 ou 300 matchs de L1.
Vous comprenez ces joueurs qui préfèrent cirer le banc dans un club pour conserver un train de vie très confortable plutôt que d’avoir du temps de jeu ailleurs en gagnant moins ?
On n’est pas dans le monde des bisounours. Chacun a sa propre perception du métier, son échelle des valeurs. Certains entendent, peut-être, assurer plus vite leurs arrières quitte à avoir un temps de jeu famélique. D’autres préfèrent jouer quitte à gagner moins. Personnellement, j’ai toujours privilégié le plaisir pris sur le terrain et les instants de partage avec les supporters. On reste avant tout des passeurs d’émotion.
Après votre départ de Bastia, vous vous êtes inscrit à Pôle emploi. Comment avez-vous vécu cette période finalement assez courte ?
Le plus dur était de devoir m’entraîner tout seul. Il me manquait l’adrénaline de la compétition, la connexion avec un vestiaire. Être au service d’un club, d’une institution. J’avais encore les cannes pour jouer. Je ne me suis pas rendu dans une agence de Pôle emploi pour leur demander de me trouver un club. J’avais la chance de connaître du monde afin de me faciliter les formalités administratives.
Vous avez récemment confié être allé à contrecœur à l’entraînement lors de vos dernières semaines à Bastia. Comment s’exprimait ce mal-être ?
Le constat, c’est que ça n’a pas marché, ni matché. La greffe n’a jamais pris. Il y a des choses, à mon âge, qu’on ne peut plus endurer. Il y avait trop de décalage avec ce que j’avais connu auparavant. Je n’ai jamais su tricher. Je ne vais pas commencer à 35 ans. Je l’ai dit à mes coéquipiers à Bastia. Pendant ces quelques mois, j’ai toujours tout donné sur le terrain, sans me cacher. Il m’est arrivé de ne pas être bon, bien sûr. Mais le problème était ailleurs. J’avais perdu cette petite flamme. Je ne prenais plus de plaisir dans mon métier. J’ai voulu être honnête et sincère et dire stop.
Vous n’auriez pas pu vous laisser quelques semaines de plus pour mûrir votre décision ?
J’aurais pu me donner jusqu’à Noël, mais j’ai préféré voir mon employeur, mon patron et lui dire : vous me payez très bien, mais il vaut mieux se séparer. Je me devais d’agir ainsi par respect pour le club et ses supporters et pouvoir partir en me regardant dans une glace. J’aurais pu me comporter comme un mercenaire, jouer seulement les matchs à domicile, m’éviter certains déplacements un peu galère et buller au bord de ma piscine en prétextant des blessures. Mais ce n’est pas moi. Contrairement à ce qu’on a pu écrire, ma famille était très heureuse à Bastia. Peu de gens se seraient assis sur 2 ans et demi de contrat. Le président m’a dit : « C’est tout à ton honneur ».