Un blogueur est poursuivi par la municipalité UMP de Puteaux.
La mairie ne blague pas avec les blogs
par Frédérique ROUSSEL
QUOTIDIEN : samedi 04 février 2006
On annonçait ce procès exemplaire. Christophe Grébert, 37 ans, directeur de publication de monputeaux.com, comparaissait vendredi devant la 17e chambre correctionnelle de Paris, qui juge habituellement la presse. Pour la première fois, elle avait un blogueur devant elle, auteur d'un de ces journaux personnels qui ont fait florès sur la toile. Christophe Grébert, journaliste de profession, était poursuivi par la mairie (UMP) de Puteaux pour avoir reproduit sur son site l'extrait d'un article daté du 26 avril 2004 du Parisien également à la barre intitulé Nouveaux remous à la mairie de Puteaux et pour le commentaire qui l'accompagnait. L'article donnait la parole à une ancienne employée de mairie qui affirmait avoir été licenciée après avoir alerté sa supérieure du prix et du manque de fiabilité financière du fournisseur choisi par la ville.
Vendredi, une certaine forme de journalisme citoyen tenait la vedette au tribunal. «Pourquoi avez-vous ouvert un site ?» demande le président à Christophe Grébert. «De voir, le1er mai 2002, mon candidat Lionel Jospin exclu du second tour de la présidentielle et d'y voir Le Pen m'a fait un choc, explique-t-il. J'ai décidé de m'encarter au Parti socialiste, d'avoir un engagement de citoyen et d'ouvrir monputeaux.com pour diffuser de l'information locale.» De la construction d'un square aux travaux dans une rue en passant par le compte rendu du conseil municipal, Grébert relate au quotidien les événements de la ville des Hauts-de-Seine. Le blogueur putéolien va vite voir son enthousiasme douché. On lui interdit l'accès à la tribune publique du conseil municipal, il est poursuivi dans la rue, reçoit des messages de menaces sur son répondeur, se fait interpeller par la police municipale pour avoir photographié les fleurs du parc municipal.
Trois témoins se sont succédé hier à la barre, qui ont assisté à des vexations à l'encontre de Grébert. Une scène de marché un samedi où Jean-Marie Giquel, 32 ans, le voit pris à partie et violemment bousculé. Un dépouillement d'élection cantonale partielle dans un bureau de vote où il subit un feu de menaces sous le regard de Nadine Jeanne, 53 ans, enseignante et conseillère municipale PS à Puteaux. «Comment expliquez-vous cette animosité dont vous faites état ?» l'interroge le président. «Depuis une trentaine d'années, il est difficile de s'exprimer à Puteaux. Le silence et la peur se sont installés et, tout d'un coup, quelqu'un se met à parler sur un média consulté par d'autres.» La mairie est tenue de main de fer depuis 1969 par la famille Ceccaldi-Raynaud, par Charles d'abord, puis par sa fille Joëlle depuis 2004.
Harcèlement. La plainte en justice de la mairie, une délibération votée en conseil municipal le 16 juillet 2004, dont la défense a demandé d'examiner l'irrecevabilité, arrive comme le point d'orgue légal d'une guerre de harcèlement.
L'action en justice a conféré une certaine célébrité au cas Grébert, ricochet que ne cherchait probablement pas la mairie de Puteaux. Ses mésaventures judiciaires ont fait le tour de la blogosphère. Monputeaux.com, qui comptabilisait une centaine de visites par jour à ses débuts, en reçoit aujourd'hui 1 500, et l'avocat a été payé grâce aux dons récoltés en ligne.
«Sa notoriété n'est due qu'à l'attitude de la commune de Puteaux», fait remarquer Jean-Marcel Nataf, son avocat, qui a prévenu la cour que c'était «la première fois où vous aurez à juger des limites de l'expression sur les blogs». En revanche, pour Me Jean-Marc Fedida, représentant Puteaux, l'affaire n'a rien d'exemplaire. «On prétend que cette procédure est antidémocratique parce qu'elle vise à bâillonner quelqu'un qui s'exprime sur l'Internet, lance-t-il. Mais le droit de la presse doit s'appliquer aussi en ligne.» Il cite un article de legipresse.com d'octobre 2005, qui dit notamment que «le blogueur est tenu aux mêmes obligations que s'il avait choisi un autre support qu'Internet pour exprimer son opinion».
«Moto-crottes». L'avocat met également en avant la profession de Christophe Grébert, journaliste, qui «connaît les règles et servitudes du métier» et qui «ne peut pas se poser en moto-crottes de la diffamation en ramassant tout ce qui traîne sur les trottoirs de Puteaux sans vérifier ce qu'il dit». La procureure Béatrice Vautherin a soutenu les accusations de diffamation contre le Parisien. Mais elle n'a pas pris position sur le blogueur, faute d'avoir «des échantillons de sa prose». «On pourrait lui accorder le bénéfice de la polémique citoyenne», auquel cas il aurait «le droit de citer» et «ne serait pas tenu à contradiction», a-t-elle fait valoir. Pour une publication plus officielle, le blog doit être tenu à «plus de prudence et plus de contradiction», comme un journal. Message transmis à la blogosphère... Jugement le 17 mars.