Posté 11 juillet 2023 - 20:13
Il est l'ennemi public numéro 1. Considéré comme le fossoyeur du FC Sochaux-Monbéliard, Samuel Laurent, son directeur général, n'est pas prêt de remettre un orteil en Franche-Comté après la rétrogradation administrative du club qui fait craindre un dépôt de bilan. "SL : tu as tué le FCSM", pouvait-on lire ce mardi matin devant Bonal aux côtés d'autres tags beaucoup moins sympathiques encore. Patron des Lionceaux depuis quatre ans, il a suivi un parcours tout à fait unique. Son histoire et sa façon de gouverner ont fini par plonger le vénérable FCSM dans les bas-fonds du foot français
Samuel Laurent est le petit-neveu du premier buteur de l'histoire de la Coupe du monde (Lucien). Son grand-père, Jean, a lui aussi défendu les couleurs sochaliennes après avoir disputé la Coupe du monde en Uruguay. Pourtant, le DG, né à Montbéliard, n'a jamais caché sa méconnaissance totale du football jusqu'à en tirer une certaine fierté. Contrairement aux autres présidents parachutés au sommet des clubs, il n'a ni le profil d'un financier, ni celui d'un administratif. Il n'a jamais géré de budget ni manager d'équipe. Sa nomination dit tout de l'intérêt des propriétaires chinois pour leur nouveau jouet.
AL-QAÏDA, CONTROVERSES ET TOUR D'IVOIRE
S'il prend les commandes, c'est d'abord parce qu'il est l'homme de confiance de Nenking. Ancien baroudeur, devenu "consultant international", selon la biographie de sa maison d'édition, il publie plusieurs ouvrages tels que "Al-Qaïda en France, révélations sur ces réseaux prêts à frapper", "l'Etat Islamique", "Sahelistan, de la Lybie au Mali, au cœur du nouveau Jihad" et devient un habitué des plateaux télé. Mais ses écrits sont controversés et un article de Libération met clairement en cause ses conclusions ainsi que ses méthodes de travail.
Au fil de ses pérégrinations, il devient ami avec Zhong Naixiong, le fondateur du groupe Nenking. Après avoir pris les commandes de Sochaux, il s'attache à se débarrasser de tous ceux qui pourraient l'aider à naviguer dans un milieu qu'il ne connait pas. En 2021, il se sépare de son directeur sportif, Thomas Deniaud, et son adjoint, Emmanuel Desplats, au club depuis 20 ans, préfère mettre les voiles plutôt que de continuer à travailler avec un homme qui ne supporte pas la contradiction. Seul dans sa tour d'ivoire, il éteint tous les contre-pouvoirs.
CÂLINS AUX JOUEURS, TRAIN DE VIE DISPROPORTIONNÉ
"Je n'étais pas un spécialiste moi non plus, rembobine Jean-Claude Plessis, président iconique du FCSM de 1999 à 2008. J'étais patron de garages chez Peugeot et je n'ai jamais ouvert un moteur. Mais patron, c'est un métier d'hommes, il faut bien s'entourer. Quand j’ai débarqué à Sochaux, j’ai fait appel à Jean Fernandez et Bernard Genghini. Samuel Laurent a fait tout le contraire, il a tout coupé autour de lui pour se rendre indispensable. Et comme il est le seul interlocuteur de Nenking, il peut leur dire tout et n'importe quoi." Sa gestion va finir par plomber les comptes du club.
Aveuglé par une saison 2021/2022 où ses hommes frôlent la montée, il décide de faire un all-in en accordant des salaires pharaoniques à ses recrues de l'été (80 000 euros et 400 000 euros de primes pour Ibrahim Sissoko) et prolonge des contrats à des hauteurs qui ne correspondent pas à la réalité du club. Sochaux mène la grande vie, le président cède à tous les caprices de ses joueurs qu'il n'hésite jamais à câliner devant les caméras quand il traite avec beaucoup moins d'égard ses autres collaborateurs.
Laurent sort les grands moyens : 14 déplacements en avion privé durant la saison (une incongruité pour un club de L2) et deux stages à l'hiver 2022 (le premier en Espagne dans des installations où séjourne notamment l'OL, le second à Lyon dans un hôtel de luxe où logeront les All Blacks durant la Coupe du monde). Un train de vie qui ne colle ni à ce qui se fait, en général, en Ligue 2 et encore moins à Sochaux, club anti bling-bling par excellence. "Il faut qu'on sache ce qu'il s'est passé, s'emporte Plessis. Comment est-il arrivé à un déficit de 22 millions d'euros ? Il a caché la vérité."
MENTEUR, MANIPULATEUR OU MYTHOMANE ?
La vérité, justement, ne semble pas être sa boussole. "Je me souviens d'un jour où il m'a dit au téléphone que Nenking allait investir dans un programme de rachat de terrains en Franche-Comté d'un milliard d'euros, témoigne Fabrice Lefevre, président de l'association de supporters Planète Sochaux que Samuel Laurent aimait bien caresser dans le sens du poil. Je ne sais pas si c'est un menteur, un mythomane ou un manipulateur, il est très difficile à cerner."
Dans sa biographie en ligne visible sur Amazon.fr, il affirme qu'il a, en Birmanie, "pris les armes au sein de la guérilla karen, notamment lors de la terrible bataille de Sleeping Dog Hill". Mais fin 2014, le compte Twitter des Karens, la rébellion birmane (Karen National Liberation Army), lui intime l'ordre de cesser de raconter qu'il avait combattu avec eux : "Jihadisme: si tu mens, nous nous en moquons. Mais ta fausse participation à notre combat, cela nous importe. Efface tes mensonges MAINTENANT !" Ce qui est certain, c'est que Laurent a les yeux plus grands que le ventre et malheur à ceux qui se mettent en travers de son chemin. En janvier, alors que l'actionnaire présente un projet pharaonique, un nouveau centre de performance chiffré à 20 millions d'euros, il lance à Charles Demouge, président de l'agglomération de Montbéliard, qui s'émeut de son implantation dans le territoire de Belfort : "Vous viendrez dans mon bureau en rampant."
Volcanique, il n'aide pas à redorer le blason sochalien en échangeant régulièrement des insultes avec ses homologues en tribunes. Brouillé avec la Ligue, la Fédération, le syndicat des entraineurs pour des propos violents envers Jocelyn Gourvennec ("Ça a été deux fois notre priorité parce qu’en effet il avait un pedigree. Mais bon les starlettes, on a donné au niveau des joueurs, maintenant au niveau des coaches, c’est bon !"), sa personnalité clivante fragilise l'institution.
UN INCOMPÉTENT TOTAL, IL LE RECONNAÎT LUI-MÊME D'AILLEURS
En octobre 2020, selon plusieurs témoins cités par l'Est Républicain, il est pris d'un accès de violence et participe à une rixe devant un restaurant. "Nous avions eu des échanges secs avec ce monsieur qui se plaignait de sa place et qui gênait, en parlant fort, les autres gens, témoigne alors un salarié du restaurant. Il a, en outre, été fort désobligeant avec une serveuse de 18 ans. Il lui a dit : 'Je vous paie en nature' (…). Il m’a insulté (...). Il a passé la porte, marché, rebroussé chemin. Je suis sorti et il m’a empoigné." Une version que le principal intéressé dément.
"Ce que je lui reproche, c'est de ne pas être là quand le club avait besoin de lui ces derniers mois, continue Plessis. Quand on perd huit matches de suite (ndlr : en fin de saison), c'est le rôle du président d'aller dans le vestiaire pour régler le problème. Le responsable de ce fiasco, il s'appelle Samuel Laurent. C'est un incompétent total, il le reconnaît lui-même d'ailleurs." L'été dernier, alors que Sochaux présente sa recrue phare, Ibrahim Sissoko, celle qui incarne ses ambitions, Samuel Laurent ne participe pas à la conférence de presse. Et pour cause, il ne s'est pas réveillé de sa sieste. Un an plus tard, c'est tout Sochaux qui est K-.O.
Auteur: Martin Mosnier