Témoignage d'une prof de 4e suite à la minute de silence demandée hier.Citation
En début d'après-midi, j'ai accueilli une classe de 4e. Ils sortaient d'un cours de français pendant lequel ils avaient entamé un vif débat sur le sujet. Ils étaient bruyants, agités, je leur ai proposé qu'on poursuive le débat pendant mon cours. Certains jugeaient cet acte effroyable, traitaient les terroristes de "barbares". Mais un élève a commencé à exprimer son désaccord. J'ai ensuite remarqué qu'une autre assise au fond de la classe attendait sagement main levée qu'on lui donne la parole.
"On ne va pas se laisser insulter par un dessin du prophète"
"Madame, me dit-elle, on ne va pas se laisser insulter par un dessin du prophète, c'est normal qu'on se venge. C'est plus qu'une moquerie, c'est une insulte !" Contrairement au précédent, cette petite pesait ses mots, elle n'était pas du tout dans la provoc. À côté d'elle, l'une de ses amies, de confession musulmane également, soutenait ses propos. J'étais choquée, j'ai tenté de rebondir sur le principe de liberté et de liberté d'expression. Puis c'est un petit groupe de quatre élèves musulmans qui s'est agité : "Pourquoi ils continuent, madame, alors qu'on les avait déjà menacés ?"
Plusieurs élèves ont tenté de calmer le jeu en leur disant que Charlie Hebdo faisait de même avec les autres religions. Leur professeur de français avait eu l'intelligence de leur montrer les unes de Charlie pour leur montrer que l'islam n'était pas la seule religion à être moquée. Mais ils réagissent avec ce qu'ils ont entendu à la maison.
Tout cela a divisé les élèves
Ce qui me désole, c'est la fracture que cet événement tragique a créée dans des classes d'habitude soudées. Tout cela a divisé les élèves. Il régnait aujourd'hui une ambiance glauque, particulière. Cette classe de 4e sympa, dynamique, était soudain séparée en deux clans. Les communautarismes ont resurgi d'un coup. Et ça me fait peur pour la suite.
L'école doit transmettre nos valeurs, mais on est parfois un peu trahis par les parents. On apprend les principes républicains aux enfants, mais une fois à la maison ils en font bien ce qu'ils veulent. Ils n'ont plus confiance en nous, professeurs. Ils ne nous prennent pas pour des alliés, mais pour des ennemis. En tant que prof, tu te demandes ce qu'ils peuvent penser de toi, de nous enseignants, nous qui avons la foi de leur apprendre. Nous avons devant nous des jeunes citoyens qui ont des idées telles qu'on est obligé de se demander : "Où allons-nous ?"
Les attaques se multiplient contre la communauté musulmaneTout ça, ça pue.
L'une de mes amies, instit' dans une école sensible à Mulhouse, a vécu la même chose, mais avec des gamins de 8 ans. Elle m'a toutefois dit que c'est une petite, d'origine musulmane, qui a elle-même claqué le beignet de ses camarades en leur demandant où dans le Coran il était écrit que le Prophète ne pouvait pas être représenté.
Quoi qu'il en soit, c'étaient bien les avis de parents qui sortaient de la bouche de mômes de 8 ans, et c'est très déstabilisant. Je l'ai vécu moi-même dans un lycée pro, où un cours que je donnais sur les Grandes Découvertes dont Christophe Colomb a rapidement ouvert la porte à des propos anti-Amérique, anti-Occident, et des propos d'une extrême violence. C'est très difficile à gérer tant on sent que les jeunes recrachent un discours entendu à la maison, qui n'a rien à faire dans une salle de classe lors d'un cours qui ne parle pas de ça, et contre lequel on n'a pas envie de rester silencieux non plus.