Posté 07 janvier 2015 - 16:40
Antonio Fischetti est journaliste à la rédaction de Charlie Hebdo. Il n’était pas ce matin dans les locaux. Il témoigne de son émotion et raconte comment le journal s’était presque habitué à vivre sous la menace depuis plusieurs années.
«On savait que la menace était réelle, mais ce n’était pas la parano. Les menaces contre Charlie étaient récurrentes, continuelles, habituelles. Il n’y en avait pas particulièrement plus ces derniers temps, mais la vigilance s’était relâchée. Après l’incendie qui avait détruit nos locaux en 2011, il y a eu pendant longtemps une voiture de police en bas du journal. D’abord tout le temps, puis pendant la réunion de rédaction, le mercredi matin. Mais depuis quelque temps, un mois ou deux, il n’y en avait plus. Ils ont dû le repérer. Ils ont vraiment attendu le bon moment. Même s’il y avait un code, en bas, même s’il fallait savoir que le journal était au deuxième étage, il était plus facile de rentrer dans nos locaux rue Nicolas-Appert que dans les précédents, rue Serpollet.
«Charb, lui, avait encore ses deux gardes du corps. Quand il venait dîner chez moi, on en plaisantait un peu. Je lui demandais : "Tiens, qu’est-ce que t’as fait de tes gardes du corps?" Une fois, il a pris un taxi sans eux. Le chauffeur l’a reconnu, lui a demandé de descendre tout de suite. Le garde du corps lui avait dit de ne plus jamais prendre un taxi seul. Il partait même en vacances avec eux.
«On se disait tous que quelqu’un d’un peu allumé et de déterminé, avec une kalachnikov, pourrait s’en prendre à Charlie. On pensait que Charb pourrait être visé, il avait été directement visé par Al-Qaeda, sur Internet.
«L’idée de pouvoir se faire tuer un jour était là, dans la tête. Mais un carnage de cette ampleur, avec la volonté de tuer tout le monde… Les miraculés sont ceux qui étaient en retard, comme Luz ou Catherine Meurisse. Ou les absents comme moi, qui étais à un enterrement en province. Nous étions amis, pas juste collègues. J’étais particulièrement proche de Charb et de Tignous.
«Là, c’est la volonté d’éradiquer totalement un journal. Ce n’est pas "juste" tuer le rédacteur en chef. Il n’y a pas de mots. C’est vraiment un acte de guerre. Tout ça pour des dessins… Ce sont des malades. Charlie portait une parole, soutenue par certains, combattue par d’autres. Je me rends d’autant plus compte aujourd’hui combien son combat était important. On était tous d’accord sur le fait qu’il ne fallait pas céder. Mais qu’ils décident d’éradiquer ce symbole de la liberté qu’était Charlie… J’en parle au passé, car je ne vois pas comment le journal pourrait survivre à ça. Charlie, c’était un journal de dessinateurs. Les rédacteurs comme moi sont interchangeables. Eux, non. Des Charb, des Tignous, des Wolinski, il n’y en a pas cinquante. Et si en plus il y a Cabu…»
« Au lieu de vous emmerder à lire tout Sartre, vous achetez un exemplaire de Minute, pour moins de dix balles vous avez à la fois La Nausée et Les Mains sales », Pierre Desproges