Johann et Kader: rendez-vous le19 juin COUPE DU MONDE 2006 Réunis sous les couleurs de Sochaux, Johann Lonfat et Mohamed Kader seront opposés lors du prochain Mondial. A l'invitation du «Matin», les deux anciens Servettiens ont déjà mouillé leur maillot. Et pris les paris... NICOLAS JAQUIER - SOCHAUX
17 décembre 2005 Depuis le tirage au sort de Leipzig, ils n'arrêtent pas de se chambrer mutuellement. Avant de se retrouver opposés le 19 juin à Dortmund, Johann Lonfat (32 ans) et Mohamed Abdel Coubadja Kader (26 ans), coéquipiers à Sochaux après avoir et l'un et l'autre porté les couleurs du Servette FC, ont déjà entamé la guerre psychologique du rire. Le Valaisan, dont l'épouse, Diariata, est Sénégalaise, lance la première pique. «Arrête, Kader, c'est un miracle si vous y êtes, à cette Coupe du monde. Vous n'auriez jamais dû battre le Sénégal. Il pouvait y avoir 6-0 à la mi-temps!» Casquette vissée sur la tête, Kader se marre, laisse gentiment dire, mais ne se laisse pas démonter: «Eh, Joho, on n'aurait peut-être jamais dû, mais, comme vous, on l'a fait!»
A Lomé, l'ex-Servettien mériterait d'avoir sa statue. Sans le doublé historique inscrit par Kader (60e et 70e) le 8 octobre dernier, à Brazzaville, face au Congo, les Eperviers du Togo n'auraient jamais décroché leur billet. Si Kader évolue en L1, tout comme le Monégasque Adebayor, la star emblématique de l'équipe, plusieurs de leurs coéquipiers ne connaissent pas cet honneur et croupissent dans les divisions inférieures. A l'image de Jean-Paul Abalo, capitaine à vie du Togo, relégué à Dunkerque, chez les amateurs de CFA. Ironie du destin, Lonfat avait anticipé ces retrouvailles. «J'étais certain de retrouver Kader en Allemagne. Je le lui avais même dit.» Jeudi passé, alors même que les Lions de Sochaux préparaient leur déplacement à Troyes, Johann le Suisse et Kader l'Africain, suivi ce jour-là par une équipe de TV coréenne débarquée le matin même de Séoul, ont accepté l'invitation du «Matin». Ensemble, ils ont évoqué l'importance de la Coupe du monde pour leur pays respectif et ce que signifiait, à leurs yeux, un tel événement.
«Quand on voit le parcours de la Grèce à l'Euro, on se dit que tout est possible» Johann Lonfat. «Pour moi, disputer la Coupe du Monde, c'est comme si j'avais reçu le Ballon d'Or.» Mohamed Kader. Photo © Sébastien FévalQue représente pour vous la Coupe du monde? Johann Lonfat. J'ai en tête des images de fêtes et d'ambiance qui vont bien au-delà de l'enjeu. C'est l'occasion de voir tous les footballs. En dépit des excès qu'il véhicule, le ballon doit rester un vecteur de paix, d'apaisement. Je me souviens de 1986 au Mexique. J'étais déjà fou du Brésil. J'étais déguisé en vrai supporter. Avec mes cousins, on regardait ça à la TV.
Mohamed Kader. C'est quelque chose de géant. Ce que l'on a fait, c'est pour nous une chose impensable compte tenu de la taille de notre pays. On a l'occasion de montrer à la planète entière qui l'on est. Sait-on aujourd'hui où est Lomé sur une carte? Le foot, au Togo, c'est le seul truc qui nous reste, un facteur de cohésion sociale. Seul le ballon peut réunir des gens opposés, et c'est ce qui est arrivé.
D'un point de vue plus personnel, participer à un Mondial? J. L. J'ai 32 ans, c'est donc la dernière qui sonne. J'y suis d'autant plus sensible que j'avais été privé de l'Euro 2004 sur forfait. Alors que j'avais été sélectionné, je m'étais blessé (n.d.l.r.: Lonfat souffrait de douleurs dorsales) quarante-huit heures avant de prendre l'avion pour le Portugal.
M. K. Pour moi, disputer la Coupe du monde, c'est comme si j'avais reçu le Ballon d'or. Des grands joueurs n'ont jamais eu la possibilité d'en vivre de l'intérieur. Et moi, petit joueur, j'y serai.
Après Genève, comment qualifieriez-vous votre expérience à Sochaux? J. L . J'ai une certaine nostalgie du Servette et de ce que j'y ai vécu. Ici, la concurrence est terrible. Mentalement, il faut être costaud, travailler sur soi-même pour s'imposer.
M. K. A Genève, il y avait tout. Ici, sorti du football et des usines Peugeot... Un joueur peut totalement se concentrer sur son job. Mais si tu ne joues pas, tu es mort!
La Suisse et le Togo disposent chacun d'un sélectionneur très charismatique. Que diriez-vous de l'apport de Köbi Kuhn et de Stephen Keshi? J. L. Le grand mérite de Kuhn a été de se débarrasser du passé et de quelques joueurs. Ses prédécesseurs n'avaient pas osé, lui l'a fait. Il a aussi su transmettre au groupe ce qu'il était.
M. K. Il est parvenu à changer notre mentalité. Au fil des succès, on a commencé à y prendre goût. Au point de se demander entre nous: au lieu de la Coupe d'Afrique des Nations, pourquoi ne viserions-nous pas autre chose? Avec Keshi, ce qui paraissait impossible est devenu possible.
Dans ce groupe, la France fait malgré tout figure d'épouvantail. Les autres pays du groupe doivent-ils se liguer contre elle? J. L. Ah, la France! On a montré durant les éliminatoires qu'elle n'était pas imbattable. Cette fois sera peut-être la bonne. Encore que je ne vois pas ses joueurs répéter les mêmes erreurs qu'en 2002.
M. K. Malgré tout le respect que je lui dois, on va jouer pour gagner parce que l'on sait que l'on peut gagner. Le Sénégal nous a montré l'exemple. Et comme le Togo a battu le Sénégal... (Rires.) Jusqu'à présent, les Bleus n'ont pas encore évolué en équipe. Il leur reste six mois pour trouver un équilibre. Quel visage montreront-ils en juin?
Qui passera en huitièmes de finale? J. L. La Suisse et la France, peu importe dans quel ordre.
M. K. La France et nous, bien sûr!
Au-delà de l'aspect sportif, que peuvent espérer vos équipes respectives? J. L. La Suisse peut être la surprise de cette Coupe du monde, rééditer ce que la Corée a fait chez elle en 2002. Quand on voit le parcours de la Grèce à l'Euro, on se dit que tout est possible, absolument tout.
M. K. Tu as raison, vous avez fait d'énormes progrès. Mais nous aussi. Peut-être va-t-on nous sous-estimer, à commencer par la Suisse. Le Togo voudra faire entendre la voix de l'Afrique.
Les gris-gris, amulettes et autres porte-bonheur auront-ils leur place en Allemagne? J. L. Croyons surtout en nous!
M. K. Je sais que ça existe. Mais si tout cela marchait, l'Afrique aurait déjà remporté six Coupes du monde! Moi, je crois en ma religion, le Coran.
A propos de Suisse-Togo du 19 juin, votre pronostic? J. L. On l'emportera et je repartirai avec ton maillot, Kader!
M. K. Tu auras peut-être mon maillot, mais j'aurai marqué le seul but du match!
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