http://www.humanite....les-plus-grandsStéphane Dalmat, dix-neuf ans, est déjà demandé par les plus grands
De notre envoyé spécial.
à Lens.
STEPHANE DALMAT, qui c’est celui-là ? De retour aux contingences après une parenthèse vitale, chaude et agitée, du 10 juin au 12 juillet, un nom a couru sur toutes les lèvres de ce que le foot ici-bas compte parmi les plus importantes : Stéphane Dalmat, estampillé révélation de l’année. Jeudi 13 août, ultime consécration, venue de Roger Lemerre lors de l’annonce de sa première revue d’effectif post-Mondial pour Autriche-France : "Il y a aussi le jeune Dalmat que je n’oublie pas."
Pour confirmation, la liste des cadors ferraillant lors de l’intersaison pour s’attacher les services du prodige : à l’étranger, l’Inter, la Juve, la Fiorentina, la Roma, la Real Sociedad et la Corogne. En France, Lens, Metz, Monaco, Bordeaux, Marseille, PSG, soit grosso modo les six premiers du classement du dernier championnat. Stéphane Dalmat, dix-neuf ans, éternel visage de bébé posé sur un corps massif (1,86 m, 80 kilos), a choisi les champions de France sur la foi du discours de l’entraîneur et de l’état d’esprit du club alors que Marseille en avait fait sa priorité, avant Gourvennec, mais finalement rebuté devant le prix du transfert Ä 35 millions, le même montant que la transaction de Marco Simone, du Milan au PSG en 97, ou que celle de Zidane, de Bordeaux à la Juve en 96 (1). Lucide, le meneur de jeu constate : "Dans ce milieu-là, on sait que quand ça marche, tout le monde vient, les journalistes, les sponsors…"
Donc, ça marche. Dans ce milieu trop souvent uniforme, il y a quelque chose d’éminemment sympathique dans le fait que tout lui sourit. Assez drôle et très ouvert, le nouveau Lensois étonnerait presque tant sa disponibilité transpire la sincérité. La lucidité avec laquelle il se raconte donne encore un peu plus de crédit au personnage. Bref, il est assez réjouissant que les feux de la rampe s’allument sur le passage d’un jeune footballeur décontracté et à la tête froide plutôt que sur le chemin d’autres, tout aussi talentueux, mais déjà formatés (on en connaît plein).
"Pour le moment, dit-il, je ne suis rien. Juste un jeune joueur de D1 qui se montre. Je n’ai rien gagné, rien prouvé, si ce n’est que je peux faire des choses bien. Je suis au tout début." Ça promet. D’autant plus qu’on le sait entre de bonnes mains Ä celles de Daniel Leclercq, pas vraiment adepte du laisser-aller Ä et à moins qu’une catastrophe (grave blessure, mauvais entourage) ne lui tombe dessus, l’étoile ne sera pas filante. A l’instar des Luccin, Henry, Trezeguet, Anelka, Dalmat, s’il confirme, peut offrir un sacré visage demain à l’équipe de France. On ne sait comment son histoire s’achèvera mais vu l’acharnement du garçon à la transformer en conte de fées, l’avenir lui tend les bras. Son parcours en témoigne : chassé par la porte, Dalmat est revenu par la fenêtre. A dix-neuf ans, sa modestie ne l’empêche pas d’afficher une assurance frondeuse : "Quand je veux quelque chose, je l’obtiens. Je réussis toujours mes paris." La suite, alors que d’aucuns auraient très tôt renoncé, en est la preuve.
Un don au bout
des crampons
Fou de basket, le natif de Tours reste pourtant de marbre devant un ballon de foot. Pour éviter de perdre de vue un copain, il le suit à neuf ans au club de Joué-lès-Tours. Inscription. Révélation. "Dès la première année, je me démerdais bien, explique-t-il, sans avoir à remonter très loin dans ses souvenirs. J’ai compris que j’avais quelque chose. Un don. Je marquais plus de soixante-dix buts, je dribblais toute l’équipe…" Un don ? "Même s’il y a la technique, on l’a ou on l’a pas. C’est surprenant. Je ne me suis pas mis en tête de faire une carrière mais jouer deux ou trois ans et puis c’est tout." Le don, on l’a compris, il l’a et ce qui ne devait être qu’une passade dure maintenant depuis dix ans. A force de bien jouer, Dalmat est repéré. Sélections en équipe d’Indre-et-Loire puis de la région Centre. Au bout de trois ans de réflexion, il décide "de devenir professionnel, de tout faire pour. A quatorze ans, j’en étais sûr : je réussirai." "Mais bien sûr", lui rétorque son père, genre : "C’est ça, cause toujours mon fils."
Le Stade Rennais qui écume la région à la recherche de la perle rare donne tort au père de se moquer. Coup de fil. Proposition de stage d’une semaine à la fin de la saison. En sports études à Corneille, Stéphane saute de joie. Accord. Décembre, c’est l’hiver. Fracture ouverte de l’avant-bras. Malchance. Quatre à cinq mois d’indisponibilité. Dur. Rennes continue d’appeler et s’inquiète de la santé de son stagiaire. Mais à Joué-lès-Tours, on lui joue un tour. Rennes tombe à l’eau. Moralité : "C’est là que j’ai compris que c’était un milieu pourri, qu’il ne faut faire confiance à personne. Tous ces gens malhonnêtes qui racontent des conneries." Il reprend l’entraînement et constate : "Je n’arrivais pas à retrouver mon niveau. J’étais devenu nul. J’étais à la ramasse. Les gens disaient : "Il est fini, sa blessure l’a gâché. Il fera une petite carrière en nationale." Désabusé mais pas encore découragé. C’est Laval qui lui remonte le moral, sur le même principe que les recruteurs de Rennes. Tout est finalisé jusqu’à ce qu’une semaine avant le début du stage, le club lui dise qu’il n’a en fait plus de place. Cela ressemble à un sketch mais ce n’est pas drôle. Stéphane se souvient de chaque épisode, date à l’appui. Il pourrait presque donner l’heure. Il n’a rien oublié. "Je me disais : on m’en veut, c’est pas possible."
Ne compter que sur soi. Il court pendant ses vacances, puis court et court encore. Une obsession : retrouver son foncier. S’engueule avec son club. Décide d’envoyer des CV un peu partout comme on jette une bouteille à la mer. Nantes appelle à la maison… c’est pour son frère, trois ans de moins que lui. "J’étais heureux pour lui, mais au fond, j’avais les boules." Dans un sursaut, comme on implore la terre entière, Stéphane retient l’envoyé spécial : "Vous ne pourriez pas faire quelque chose pour moi ?" Il m’a donné sa carte." Son culot paye. Une semaine de stage. Enfin. Premier ballon : contraction à la cuisse. Retour à Tours. La délivrance ? Châteauroux qui répond au CV et propose l’intégration dans son centre de formation. Gueugnon faisait la même offre mais sans contrat. Il choisit Châteauroux à une heure et demie du domicile. Il était temps. Centre de formation à dix-sept ans, c’est un an de plus que la normale.
Et pourquoi pas
un futur Zidane ?
On connaît la suite et le résultat. On ne l’arrêtera pas comme ça. Se rêve-t-il l’équivalent d’un Zidane ? "Et pourquoi pas ?" Il termine là sa phrase mais il la prononce d’un air de dire à son interlocuteur : "Et pourquoi pas, gros malin ?"
Stéphane Dalmat, c’est l’histoire d’un fils d’ouvrier martiniquais venu travailler à Avignon, qui achetait enfant des "baskets à moins de 100 balles et des survets à 150 francs. Les trucs de marque n’existaient pas chez nous. J’avais tout ce que je voulais quand c’était possible. Je comprenais quand mes parents pouvaient", et qui dit aujourd’hui : "C’est possible d’être une star. Je vais tout faire pour évoluer dans un grand club et devenir un grand international. Je veux être quelqu’un et entrer dans la légende."
DOMINIQUE SHATENOY
(1) Le transfert s’est finalement conclu à hauteur de 27 millions de francs.