Un article de Le Monde, que je vous reproduit car je le trouve très intéressant...
Au passage, 94 000 € /mois, salaire moyen de L1, soit celui annuel d'un cadre supérieur...
Le monde du football contraint d’admettre la réalité et l’urgence sanitaire
Le milieu du ballon rond pense qu’il peut faire exception et rejouer pour achever la saison. Il se heurte aux politiques de santé publique mises en place pour juguler l’épidémie de Covid-19.
Ce sont deux réalités. Deux urgences. L’une sanitaire, avec une épidémie de Covid-19 qui n’est toujours pas sous contrôle. L’autre économique, avec un grand nombre d’entreprises à l’arrêt et qui ont hâte de reprendre. Le sport professionnel n’échappe pas à cet antagonisme. Mais, ces jours-ci, l’industrie du spectacle sportif – et particulièrement sa figure de proue qu’est le football – est en passe de comprendre que l’une de ces réalités, de ces urgences s’impose à elle. Et ce n’est pas celle qu’elle avait en tête. La manière dont a fini par plier, de mauvaise grâce, jeudi 30 avril, la Ligue de football professionnel française en témoigne.
Passé l’effet de sidération du début des mesures de confinement, les dirigeants du sport professionnel ont, à l’instar d’autres secteurs d’activité, vite cherché les moyens de relancer leurs activités, mettant en avant les risques pesant sur leurs entreprises et leurs emplois. Dans le contexte actuel, cette urgence économique, sans être niée, est priée de s’effacer devant les priorités de santé publique. La ministre française des sports, Roxana Maracineanu, l’a résumé abruptement : le business du sport n’est « pas prioritaire » à l’heure de gérer les conditions de sortie du confinement.
Le propos visait avant tout l’industrie du football. Les autres sports ont, plus ou moins vite, tiré le rideau sur les compétitions en cours. Le monde du ballon rond pense, lui, qu’il peut faire exception et retrouver les terrains pour achever la saison. Depuis des semaines, en Europe, ses dirigeants mènent l’offensive en ce sens.
Objectif : toucher les droits télévisuels
L’objectif est affiché : toucher coûte que coûte les droits télévisuels, sommes se comptant en centaines de millions d’euros. Voir s’envoler cet argent, qui pèse lourd dans les budgets (en moyenne 36 % en Ligue 1 française), mettrait en péril certains clubs, dès lors résolus à jouer dans des stades vides de spectateurs.
Aucun championnat en Europe n’a encore reçu de feu vert des autorités pour reprendre. Les clubs allemands, qui étaient les plus avancés (ils ont renoué avec l’entraînement début avril) et espéraient pouvoir rejouer à huis clos dès le 9 mai, attendent toujours. Le fait que trois joueurs de Cologne aient été annoncés positifs au SARS-CoV-2, vendredi 1er mai, pourrait peser lourd.
La réalité de l’épidémie et les contraintes qu’elle impose pour préserver la santé des personnes effritent les positions du football. Après la Ligue néerlandaise, la Ligue française a donc fini par dire stop, compte tenu des priorités édictées pour le déconfinement, le 28 avril, par le premier ministre, Edouard Philippe.
« Indécent »
« Le gouvernement a compris que l’urgence économique ne devait pas prendre le pas sur l’impératif de santé publique », a salué Sylvain Kastendeuch, coprésident du syndicat de joueurs professionnels. « C’est notre travail, mais ce n’est pas une priorité : des gens vont à l’hôpital, d’autres dépendent de petits boulots qu’ils perdent, mais les footballeurs auraient joué ? C’était indécent », a appuyé le Brésilien Dante, capitaine de l’OGC Nice, dans un entretien à L’Equipe, le 28 avril.
La position française pourrait inspirer ses voisins. Roxana Maracineanu a plaidé en ce sens. « Les décisions que sont en train de prendre d’autres pays, comme la France, pourraient pousser l’Italie à suivre cette ligne, qui deviendrait une ligne européenne », a déclaré le ministre italien des sports, Vincenzo Spadafora.
« Il n’y aurait pas de football durant des mois si la décision n’était pas économique. (…) Il y a une perte économique énorme. Cela trouble l’esprit des gens en termes de risque qu’ils sont prêts à prendre », a déploré l’ex-gloire de Manchester United Gary Neville, jeudi sur Sky Sports.
Ce contrecoup financier n’est pas nié. « Nous ferons en sorte qu’aucun club ne meure », a promis Roxana Maracineanu. Elle a néanmoins souligné qu’à cette occasion « tout le monde doit se requestionner ». A commencer par les joueurs, invités à « faire un petit pas pour aider à ce que tout le système réussisse à passer la bosse ». Traduction : il faut réduire les salaires (94 000 euros brut par mois en moyenne en Ligue 1, selon les données compilées par L’Equipe) pour alléger les dépenses des clubs et compenser la chute ou l’absence de recettes.
Si des baisses importantes ont été décidées dans des formations phares en Allemagne, Espagne ou Italie, ce n’est pas le cas en Ligue 1. Les clubs français ont certes quasiment tous mis leurs salariés au chômage partiel et conclu un accord, début avril, avec le syndicat des joueurs sur un report de salaire. Mais, à ce jour, ce dernier n’a été mis en place qu’à Rennes. Les négociations engagées par plusieurs clubs (Paris, Marseille, Lyon) pour de réelles baisses de salaire n’ont pas abouti.
« Questionner le modèle sportif professionnel »
Au-delà des mesures de court terme, « il va falloir questionner le modèle sportif professionnel », a aussi prévenu Roxana Maracineanu. Inflation des salaires, des prix de transfert des joueurs, des commissions versées aux agents, des droits télévisés… le football brasse de plus en plus de millions et est devenu une quasi-industrie financière, sans pour autant que ses bases soient solides.
« Cette course à l’argent, records de salaires, budgets, est ridicule et ne crée aucune valeur ajoutée. Cela doit amener clubs et instances internationales à réfléchir », a avancé Bernard Caïazzo, propriétaire de l’AS Saint-Etienne et président de Première Ligue, le syndicat des clubs de Ligue 1, dans un entretien au Monde, le 8 avril.
David Dellea, directeur de la branche sport du cabinet d’audit et de conseil PwC, juge que le moment est propice « pour appliquer de nouvelles règles qui rendront l’industrie plus soutenable ». Il expliquait au Monde, le 13 avril, qu’une plus grande régulation des salaires et des transferts pourrait s’imposer, car « l’urgence est là ».
Le football en a-t-il la volonté ? « Nous pouvons peut-être réformer le football mondial en prenant du recul », a suggéré Gianni Infantino, le président de la Fédération internationale (FIFA). Aleksander Ceferin, le président de l’UEFA, qui coiffe le football européen, « est ouvert à toutes les propositions : plafond salarial, plus de régulation », a assuré au Monde un dirigeant de cette instance. Tout en lançant : « Mais il ne faut pas aller trop vite. » Ce qui pourrait confirmer l’intuition de Laurent Nicollin, le président de Montpellier, qui croit « peu à ce fameux monde d’après et un changement total des attitudes », comme il l’a dit dans un entretien au Figaro, le 1er mai.