Antoine Vayer:«Nous sommes revenus à l’ère Armstrong»
Depuis plus de vingt ans, Antoine Vayer, ancien entraîneur de l’équipe Festina, calcule la puissance des cyclistes dans certains cols. Par le passé, il a démontré que les performances d’Indurain, de Pantani, d’Armstrong étaient surnaturelles. Aujourd’hui, il dénonce le duo Pogacar-Roglic.
Le monde du cyclisme l’a raillé, l’a discrédité, l’a calomnié, mais l’histoire l’a réhabilité: depuis plus de vingt ans, Antoine Vayer (58 ans), professeur d’éducation physique, entraîneur éphémère de l’équipe Festina dans les années 90, montre que les performances des plus grands champions ne peuvent s’expliquer que par le dopage.
Hier, il a dénoncé les fameux imposteurs du peloton: Miguel Indurain, Marco Pantani ou bien Lance Armstrong. Aujourd’hui, il émet les plus grands doutes sur le duo Tadej Pogacar et Primoz Roglic. «Non, non, se défend Antoine Vayer, je n’ai aucun doute: leurs performances nous renvoient à l’époque d’Armstrong.»
Une petite question: comment êtes-vous accueilli sur le Tour de France?
Antoine Vayer: Mais très bien, je viens de faire le parcours une heure avant la caravane, j’ai fait plein d’interviews, je suis bien accueilli.
Pourtant, vous jetez le doute, pour ne pas dire le discrédit, sur le Tour de France?
Non, non, attention! Remettons les choses à leur place: le Tour de France est une organisation qui se discrédite elle-même. Moi, je me contente de le dire et le montrer. Il est évident que le cyclisme n’a pas fini de mener sa révolution: de Patrick Lefevere (Deceuninck-Quick Step) jusqu’à Vincent Lavenu (AG2R-Citroën), les mêmes personnes sont en place qu’en 1998, année de l’épisode Festina. Il y a aussi dans le cyclisme des personnes très bien, mais ce ne sont pas elles qui ont le pouvoir. Il y a encore de vieux, vieux médecins.
Donc il y a quand même des personnes vertueuses!
Mais bien sûr, je peux vous parler de Simon Pellaud, qui m’a l’air d’être un type vertueux. Il pédale encore de manière assez romantique, c’est un aventurier.
Si je vous dis: tous dopés! Vous n’êtes pas d’accord?
Bien sûr que je ne suis pas d’accord. Non, tous ne sont pas dopés, moi, je me vois un peu comme la mouche du coche: je suis là pour faire réagir, je provoque un peu, mais je suis un amoureux profond du cyclisme et un vrai passionné.
Vous vous êtes rendu célèbre par cette méthode de calcul des watts, qui, bien avant les aveux des coureurs cyclistes, avaient montré que le dopage était la seule explication possible de certaines performances…
Oui, j’ai travaillé sur la puissance avant tout le monde, sauf peut-être Paul Köchli, qui s’intéressait déjà aux watts. Sur le terrain, j’ai observé des choses qui me paraissaient étranges chez quelques-uns des plus grands champions. Par exemple, Alex Zülle, pour parler d’un Suisse, présentait des puissances très différentes selon les périodes de la saison: en été, il dépassait des plafonds que j’ai pu définir. Puis, en calculant les watts de ces champions, j’ai découvert des puissances encore inédites dans l’histoire du cyclisme. Alors, au début, il y a vingt-cinq ans, notre méthode a été contestée, on a contesté la valeur scientifique de nos mesures.
Comment procédez-vous sur ce Tour de France 2021?
Nous avons défini six cols, placés en fin d’étape, souvent après quatre heures d’effort. Dans ces cols, nous allons calculer de manière directe – d’après les valeurs données par les capteurs de puissance – et indirecte – nos propres calculs – la puissance des coureurs. Je crois que nos calculs ne souffrent plus aucune discussion. Nos mesures permettent de détecter les coureurs qui vont trop vite.
Quels sont ces seuils que vous avez définis?
Il y aura six radars placés dans des ascensions qui feront environ une demi-heure, trente-deux minutes exactement, soit la durée moyenne des cols que nous avons analysés au cours des vingt-cinq dernières années. Nous déterminons un watt-étalon, qui correspond à un coureur de 70 kilos avec sa machine. Ce coureur de 70 kilos qui dépasserait les 410 watts de moyenne sur ces cols serait – à nos yeux – suspect. Pendant longtemps, nous avons appelé cette valeur «seuil du dopage avéré». Sur le conseil d’un avocat, nous avons renoncé à cette appellation. Ensuite, il y a le seuil miraculeux, à 430 watts, et le seuil mutant, à 450 watts. Il n’y a plus beaucoup de mutants: Pantani est mort, Ullrich ne vaut pas beaucoup mieux, Riis a avoué, Indurain est statufié… Nos seuils sont définis au terme des six cols.
Aujourd’hui, qui vous paraît suspect?
Depuis deux ans, nous avons un gros souci: avec Primoz Roglic et Tadej Pogacar, nous avons un retour des puissances qui appartenaient à l’ère Armstrong. Pendant dix ans, pendant le règne des Anglais (Wiggins, Froome, Thomas), les puissances avaient tendance à décliner, et là, depuis l’arrivée des Slovènes, ces puissances remontent. Pendant longtemps, une valeur de 415 watts suffisait pour gagner un grand tour, comme le Giro et le Tour de France. Les choses ont changé depuis la Vuelta 2019. Ce n’est pas étonnant, car il est bien plus facile de se doper en Espagne qu’en France. L’Espagne, c’est depuis toujours l’eldorado du dopage. Sur la Vuelta, le peloton connaît les contrôleurs, il sait quand ils vont débarquer… C’est du grand n’importe quoi. Dans le cyclisme, tout le monde sait qu’il y a des choses qui ne vont pas. Je vais vous raconter une histoire: un équipier a dû changer de vélo et le mécanicien lui a donné le vélo de son leader. Cet équipier a alors pu consulter le capteur de puissance de la machine, et il a halluciné!
Rappelez-nous, histoire de rire un peu, quelle était la puissance de Miguel Indurain!
Ah! oui. Il aurait pu tirer une carriole de 100 kilos à 10 km/h dans une pente à 10%! Il était capable de faire ça pendant une demi-heure. En 1999, «Le Monde» m’a demandé une chronique quotidienne durant le Tour de France et j’avais démontré par les watts que la situation n’était plus naturelle.
Et aujourd’hui?
Eh bien, ça ne va pas, ça ne va toujours pas! On me dit que si les coureurs vont si vite, c’est grâce aux gains marginaux: la qualité des routes, l’équipement, l’entraînement scientifique, etc. Mais Jean-Marie Leblanc, directeur du Tour dans les années 90, me disait déjà ça! Ces explications ne tiennent pas. Aujourd’hui, on peut tricher comme hier: transfusions de sang, corticoïdes, les anabolisants, l’hormone de croissance…
Microdoses d’EPO…
Avec l’EPO, aujourd’hui, il faut faire attention quand même. À côté de ça, il y a tout l’arsenal autorisé: les antidouleurs et la liste des produits agréés… Il n’y a pas qu’un produit qui permette d’aller vite, c’est tout un cocktail. Cela dit, les manipulations du sang, ça reste un moyen extrêmement efficace de doper la performance.
Tyler Hamilton et Alexandre Vinokourov se sont fait attraper après des transfusions de sang…
Oui, mais c’était il y a plus de quinze ans, c’était le début des transfusions sanguines. Aujourd’hui, les coureurs ont une meilleure maîtrise de cette technique.
Parlons de la génération actuelle: vous avez des doutes sur Pogacar, Roglic…
Non, je n’ai aucun doute sur ces deux coureurs. Je suis sûr qu’il y a un problème. À mon avis, le duo slovène, c’est la grande supercherie du cyclisme actuel. Je ne comprends pas comment ces deux gars peuvent atteindre des puissances pareilles: ils sont dans les 420-425 watts. Et si le scénario de la course les pousse à leur limite, ils seront dans les 430 watts. J’estime, d’un point de vue théorique, que si Pogacar est contesté dans les cols et qu’il doit pousser la machine, il montera à 432 watts, comme Armstrong en 2003. Après Armstrong, les coureurs de la Sky se situaient dans une zone grise.
Pourquoi êtes-vous si dur avec Chris Froome? Sur les réseaux sociaux, vous êtes cruel…
Parce qu’il appartient à ces coureurs qui mentent. Ces coureurs devraient disparaître.
Sans preuve?
Moi, j’ai toutes les preuves qu’il faut. Sa montée du Ventoux, en 2013, quand il lâche Contador, qu’il pédale à 120 tours/minute, devrait suffire à l’exclure du cyclisme. Arrêtez de me dire qu’il n’y a pas de preuve! Il faut inverser la preuve: à partir d’un certain seuil de performance, ce serait au coureur de prouver son honnêteté. Que Froome nous prouve qu’il était clean au Ventoux en 2013. Il faut être abruti pour croire en l’authenticité de certains exploits. Il faut savoir que personne ne voulait de Chris Froome: en 2011, Dave Brailsford, le manager des Sky, voulait le vendre. Froome se traîne au Tour de Pologne (85e du général); il perd 4 kilos et, un mois plus tard, il gagne le Tour d’Espagne (ndlr: sur déclassement de Juan José Cobo). Et en 2013, il gagne son premier Tour de France à l’âge de 28 ans. Il faut arrêter! Un minimum de lucidité!
Ne peut-il pas y avoir des talents phénoménaux, comme Mathieu van der Poel ou Wout van Aert?
Bien sûr qu’il existe des talents phénoménaux, mais cela reste des humains. Normalement, un cycliste qui grimpe un col à 430 watts en fin d’étape, ce qui est possible, devrait avoir besoin de récupérer le lendemain, tout grand talent qu’il soit! Mathieu van der Poel développe 1000 watts sur une minute quand il veut où il veut, dans les Strade Bianche, dans le Mûr-de-Bretagne. C’est phénoménal. Wout van Aert, lui, est capable de sprinter, de rouler, d’emmener son leader en montagne.
Et Julian Alaphilippe, vous le mettez dans une autre catégorie que Van der Poel ou Van Aert?
Alaphilippe, c’est du grand n’importe quoi!
Jean Ammann
Publié: 11.07.2021, 13h39