Sur Greenpeace et les pêcheurs Marseillais.
Libé.
La bataille navale des pêcheurs («pères de familles qui veulent nourrir leurs enfants») contre les «bandits, voyous, provocateurs, intégristes écologistes, bande de tarés fumeurs de joints» de Greenpeace a débuté hier matin, vers 8 h 45, quand le thonier Saint-Antoine-Marie II a quitté le Vieux-Port de Marseille. A bord, le patron, Serge Perez, et son collègue Mourad Kahoul, président du Syndicat des thoniers de la Méditerranée, conduisent la manoeuvre, suivis par une vingtaine d'autres bateaux. Direction le Rainbow Warrior, qui approche en rade, pour une escale technique. «M. le préfet, depuis trois jours on était pacifistes, c'est fini ! tonne Mourad au téléphone. Faut être sérieux ! Greenpeace, tu viens chez moi, tu me violes ? Oh !» Serge Perez : «Ils veulent éradiquer la pêche ? On va voir qui va être éradiqué ! C'est parti !» Venu de Port-Vendres (Pyrénées-Orientales), Perez ironise sur «les grands guerriers de l'arc-en-ciel» : «Une association de drogués de merde ! Des babouins ! On va être obligés de les éclater !» Kahoul annonce aux collègues, à la radio : «Le premier zodiac qui vient sur le quai, tu l'ouvres ! Le Rainbow Warrior , on va le fracasser ! Bateau de pirates, de toxicomanes !»
«Jalousie». A 9 heures, c'est l'encerclement. Déjà interdit de Vieux-Port à Marseille par les autorités locales, qui lui ont refusé l'escale ayant pour but d'informer sur la surpêche en Méditerranée, le trois-mâts de Greenpeace ( «la pisse verte», selon Perez) ne peut plus bouger. «Qu'il se casse ! Avec qui il veut jouer ? Sèche-le ! C'est eux qui décident qui doit pêcher ou pas ? S'il faut monter à bord et tout casser, pas de souci !» Une vedette et un zodiac de police suivent la scène sans intervenir. Puis les esprits se calment. Tout le monde jette l'ancre. Stand-by. Les pêcheurs donnent un ultimatum pour 10 heures, puis 11 heures, midi, 13 heures, 15 heures... Et ils ruminent.
Pour les thoniers, Greenpeace, «ramassis de propagandistes médiatiques», ne vise que les Français : «2 000 bateaux en Méditerranée pêchent le thon. Mais ce sont les 36 bateaux français qu'on vient taper. On nous reproche d'être performants, assure Serge Perez, 48 ans. On est devenus des leaders mondiaux dans le thon rouge. Ça gêne. Nous avons généré une jalousie.» Victimes de leur succès ? «Le marché européen ne supporte que 1000 tonnes. Ensuite, les prix s'effondrent. Donc, on a pris l'avion pour négocier avec le Japon.» D'où le système des cages en mer, où la plupart des prises partent pour être engraissées. «Avec ça, on régule le marché. On maintient les prix. Les Australiens font ça depuis quinze ans. Ce sont des promoteurs. Nous, quand on fait pareil, on passe pour des assassins.» Serge Perez a ses cages en Espagne. Son thonier vaut 5 millions d'euros, il en a un autre, plus un chalutier et un navire d'assistance : en tout, il emploie 40 personnes. La pêche débute le 15 mars. Entre le 1er mai et 15 juillet, il passe deux mois et demi en mer. Baléares, Sardaigne, Malte, Libye, Sicile, Chypre : partout en Méditerranée, selon la logistique, les demandes, la ressource. «Le stock est en danger ? Ce n'est pas la faute des Français, mais de la pêche illégale ! Greenpeace se trompe de cible. Ils doivent mettre leur puissance médiatique au service d'une autre cause.»
«Pris pour des cons». 16 heures. Le Rainbow Warrior, interdit de rade depuis 15 heures par la préfecture maritime pour «risque croissant de trouble à l'ordre public», ne bouge toujours pas. L'organisation dénonce l'encerclement «illégal» et «la collusion entre les pêcheurs et les autorités». Car Mourad Kahoul est aussi conseiller municipal UMP de Marseille. Et il mène les tractations avec le préfet maritime, les gendarmes, le directeur des pêches au ministère à Paris... Mais sans succès. Les thoniers s'impatientent. «Qu'est-ce qu'on attend ? On leur donne ou quoi ?»
16 h 15, dernier baroud devant le Rainbow Warrior , arrosage des marins, puis direction le port autonome de Marseille : on bloque. «Puisque le gouvernement ne veut pas bouger, que Greenpeace est chez lui, on ne discute plus !» 16 h 30, Kahoul l'annonce à la radio : «Le port est fermé à partir de maintenant ! La préfecture a plus respecté le bateau de Greenpeace que nous ! On nous a pris pour des cons ! Tu peux avertir tout le monde, y compris Sarkozy s'il est en vacances à Maubeuge : le port de Marseille est FER-ME ! Si les autorités françaises baissent le froc, nous, on ne le baisse pas !» Par mesure d'apaisement, hier dans la soirée, Greenpeace a annoncé que le Rainbow Warrior quitterait Marseille aujourd'hui à 18 heures.