Posté 07 décembre 2016 - 00:56
"Chanson douce" est l'un des meilleurs romans de la dernière rentrée littéraire. Il est d'une efficacité rare, efficacité ne rimant pas ici avec facilité. L'écriture est chirurgicale, chaque mot est à sa place, c'est un plaisir de lecture pour tous les publics.
Le gros chef d'oeuvre de cette rentrée, c'est "Règne animal" de Jean-Baptiste Del Amo. Rien lu d'aussi sublime en littérature française depuis des lustres. C'est d'une puissance esthétique et d'une densité littéraire rarissimes, même si la lecture peut s'avérer suffocante par l'histoire qu'elle met en scène. Du pur génie.
"The Girls" d'Emma Cline, aussi. Pour tous ceux qui aiment le cinoche de Sofia Coppola et aimeraient trouver sa petite soeur en littérature. Elle a le mérite, en détournant l'histoire de Susan Atkins et en changeant son nom - comme celui de son cher gourou - de rappeler que les dérives adolescentes n'ont ni époque, ni croyance, ni religion. C'est en plus de cela extrêmement poétique et doux, malgré ce qui est raconté.
"Brève histoire de sept meurtres" de Marlon James, pour ceux qui aimeraient plonger dans les entrailles de la Jamaïque. Gargantuesque, 850 pages, 76 narrateurs, une vraie fourmilière mais cohérente et bien charpentée. Il déconstruit les clichés sur cette île, le reggae, le cannabis, le rasta peace and love, pour en extraire la pure violence qu'elle renferme, par exemple envers les homos, puisqu'il est lui-même gay, contraint à l'émigration il y a quelques années. Un style particulier, beaucoup de name droping, or je sais que ça agace fortement une part du lectorat. Ceux qui aiment Ellroy, David Foster Wallace ou Tom Wolfe adoreront, les autres détesteront.
Ma dernière très bonne surprise, c'est "Parmi les loups et les bandits" d'Atticus Lish. La rencontre improbable entre une clandestine chinoise ouïghoure et un vétéran d'Irak, dans le New-York crasseux, éloigné du Manhattan carte postale. Deux visions du rêve américain, l'optimisme chevronné de l'une malgré les déceptions, face au désabusement alcoolisé de l'autre. Une lecture bien jouissive, malgré une écriture qui surprend au départ, avec des dialogues insérés dans le récit. Mais on se laisse vite emporter par le flot, une fois que l'on a compris comment l'auteur fonctionne.
"Nos âmes la nuit", ça c'est si vous avez besoin d'offrir une belle histoire d'amour à quelqu'un de votre entourage, de bien meilleure tenue que les feel good book d'Agnès Martin-Lugand, Guillaume Musso ou Marc Lévy. Deux septuagénaires, veufs, qui se retrouvent toutes les nuits pour discuter (sans niquer). La progéniture est jalouse, le voisinage blablate, mais ils luttent. Un bouquin qui parle de l'amour vrai, simple, dépassionné, à des années lumières de l'image romantique que l'on fait souvent de la destruction.
C'est le dernier Haruf, publié juste après sa mort, peut-être le meilleur avec "Le chant des plaines".
D'autres bonnes choses : "Voici venir les rêveurs" d'Imbolo Mbue, une sorte de petite soeur d'Adichie, même si c'est bien en-dessous d'"Americanah" ; "Station Eleven" d'Emily St-John Mandel, un livre de science-fiction très bien foutu et très littéraire ; "Calfornia Girls" de Liberati qui parle aussi de la famille Manson, directement cette fois, une analyse crue de la violence, "Désorientale" de Negar Djavadi, un super polar islandais sorti au printemps, "Snjor", écrit par le traducteur islandais d'Agatha Christie qui retranscrit génialement les codes de celle-ci dans son histoire ; la magnifique biographie de "Charlotte Delbo" par Ghislaine Dunant, les oeuvres poétiques complètes de Brautigan au Castor Astral ...
Bref, y a de quoi faire. A éviter : le Reza, nullissime, Céline Minard, Christopher Donner, des purges.
"Hé camarade, si les jeux sont faits, au son des mascarades on pourra toujours se marrer !"