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Au moment où la Ligue 1 va lancer son sprint final avec la réception de Brest pour le FC Sochaux samedi à Bonal (19 h), Alexandre Lacombe analyse avec lucidité et intransigeance la situation d’un football français qui a perdu quelques 300M€ la saison dernière, dont 11 pour le FC Sochaux. L’orientation du FCSM, son avenir, son positionnement sur le marché des transferts animent également la réflexion du président sochalien.
Président, le FC Sochaux est actuellement 11e de Ligue 1. Signeriez-vous pour un tel classement final ?
Cela fait un petit moment que nous sommes 11e. Alors, je dirai oui et non. Oui, car cette compétition est tellement serrée que l’on voit vite que l’on peut passer de la 11e à 15e place. Non, car nous avons les moyens et le devoir d’être plus ambitieux.
Les places valent chères à tous les sens du terme, vu la manne financière accordée selon le classement. Mettez-vous une pression particulière sur vos joueurs à ce sujet ?
Ce n’est pas le discours de dire, il y a de l’argent pour le club à gagner. Vous savez, le foot reste un sport d’équipe composé mais on parle un peu trop de la perf individuelle plutôt que de la perf collective, en général. On ne fonctionne donc pas comme ça. Disons que les joueurs seront plus beaux, plus forts si nous sommes 7e plutôt que 15e. Le levier financier, ils l’ont par le biais de leurs primes, fortement influencées par le classement final. Mais c’est surtout l’idée de se faire plaisir, d’avoir un peu de fierté qui doit exister. Pour ça, il va falloir, cependant, afficher un peu plus de grinta et se montrer plus constant.
Feriez-vous des reproches dans ce sens à votre équipe ?
J’ai l’impression que, parfois, nous avons du mal à nous faire mal. On sait le faire sur une mi-temps, un match, ce serait bien de le faire sur tout le mois d’avril. C’est là où tout va se jouer et où l’on pourra se placer définitivement du bon côté. Alors, le beau jeu, c’est bien mais, de temps en temps, il faut aller mettre la « semelle ». Si j’ai un message à faire passer pour le mois d’avril, c’est grinta ! Le bleu de chauffe, c’est maintenant qu’il faut le mettre.
Pensez-vous que cette absence de grinta soit dû spécialement à un manque de personnalités au sein de ce groupe ?
Si le coach le savait, il y aurait déjà remédié. Je crois plutôt que c’est culturel. À Sochaux, on prône le beau jeu, dès les plus petites sections. On le voit bien, même en CFA. Quand il y a un combat sur les derbys avec Besançon, Belfort, on connaît des difficultés. C’est probablement notre faiblesse. Nous sommes un peu trop gentils.Reste que jusqu’ici, la formation de Francis Gillot a globalement séduit cette saison.
Le beau jeu, on ne l’a jamais perdu. On est plus flamboyants cette saison car quand on marque un ou deux buts, c’est plus facile ensuite de tenter des choses. Défendre à onze derrière, ce n’est pas la culture de Sochaux. Mais là, il nous faut cette grinta que nous ne savons pas avoir dans la durée. J’y tiens.
De nombreux présidents français se sont insurgés dernièrement contre le gendarme financier, prêt à prendre des sanctions, qu’est la DNCG. Êtes-vous de ceux-là ?
On parle beaucoup aujourd’hui des conséquences, du déficit, en effet, mais quelle en est la cause profonde ? Nous sommes tous très inquiets financièrement, voilà tout. Les résultats sont catastrophiques. Ça fait trois ans que je le dis. Quand je suis arrivé, j’ai dit attention au mur. Personne ne m’a cru. Aujourd’hui, je prends, malheureusement, plaisir à le redire : on est dans le mur. Le foot allemand, présenté en système vertueux, est également en déficit, contre toute attente, et aujourd’hui, en France, il y a des présidents qui sont très nerveux.
Quelles sont, pour vous, les raisons de cette dégradation ?
Trois facteurs ont influé : la crise économique, l’image désastreuse du football qui a fait qu’on est venu nous faire les fonds de poche en nous mettant des charges à un niveau scandaleux et, enfin, le retournement brutal du marché des transferts. Tout, mis bout à bout, fait que le foot français a perdu 300M€ l’an dernier en exploitation sur un milliard. Je me tuais à le dire et j’avais l’impression de ne pas être compris. Aujourd’hui, la DNCG, qui n’a pas vu arriver la chose aussi vite, a proposé de prendre des mesures drastiques. Mais comment retrouver ces 30 % perdus ? Toutefois, tout ce qu’on entend traduit surtout l’inquiétude en période de renégociation des droits télé. Nous avons une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Si jamais la baisse des droits télé se situe entre 5 et 10 %, ça ira peut-être. Si c’est plus, il y aura un problème majeur. On sera au bord de la faillite, çà se dit comme ça.
Le FC Sochaux n’a pas été épargné avec ses 11M€ de perte. Ici, on n’y était pas habitué.
Bien sûr, que c’est effrayant. Voilà pourquoi, parfois, je suis un peu irritable sur le sujet. Les 11M€, je savais depuis un moment qu’ils allaient tomber. On voit bien que le système est à changer. On ne peut plus continuer de la sorte. Le FCSM a la chance d’avoir un actionnaire costaud qui a assumé son rôle l’an passé. Après, il y a un centre de formation qui produit et une équipe qui a été rebâtie. La difficulté que nous avons connue, surtout l’an passé, c’est le cas Davies. On a acheté un joueur qui a participé à sept matches, et il a fallu en racheter un dans la foulée en assumant les frais des deux. Donc ça, c’est quelques millions d’euros supplémentaires. Nous avons également fait le choix de bâtir une équipe ce qui n’a pas été possible pour tous les clubs.
Justement au moment où vous êtes en pleine reconduction de contrats, avez-vous l’impression que les joueurs ont pris conscience de cette situation économique ?
Globalement, non. Le discours cartésien, ils l’ont. Ils ne sont pas sots. Mais après, ils espèrent toujours que ce sera différent. Cela fait un moment que l’on discute avec plusieurs d’entre-eux (N.D.L.R. Dreyer, Faty, Dramé, Maurice-Belay, Tulasne sont en fin de contrat) mais aujourd’hui rien n’est fait. Sauf avec Teddy Richert (N.D.L.R. contrat prolongé d’un an récemment) ce en quoi, on se rapproche du 15 avril. Et au 15 avril, la porte sera fermée et c’est moi qui la fermerai. Je l’ai dit à tous, expliqué. Et puis, quand on perd 11 millions l’année précédente, on essaie de repartir en anticipant pour être pérenne dans le temps et vivre avec nos moyens. Donc, le 15 avril, les portes seront fermées car nous avons besoin d‘aller chercher les remplaçants éventuels de ces joueurs. Et on ne va pas attendre le 30 mai. Je veux que le coach ait ses joueurs à la reprise au 30 juin. Ce ne sera pas un marché très actif mais en fonction des renouvellements, il y aura des arrivées.
À travers vos paroles, vous avez donc incité tout le monde à envisager une baisse de salaire ?
Bien sûr. Des salaires, trop hauts actuellement par rapport à nos recettes. Le FC Sochaux a vécu l’accident industriel comme tous les autres clubs. Jusqu’alors, il y avait eu un marché des transferts qui permettait de vendre des joueurs à des prix… (instant d’arrêt) Disons qu’à un moment, on a confondu les euros et les francs.
Les gens qui arrivent en fin de contrat, aujourd’hui, ont signé leur contrat il y a quatre ans, lors du dernier appel d’offres télé où les millions sont tombés en surprenant presque tout le monde. (N.D.L.R. 660M€). On n’est plus, du tout, dans la même mouvance. Ailleurs, peut-être, dans certains pays qui ne sont pas confrontés à cette conjoncture. Mais il faudra aller loin. En Chine, par exemple, qui devient un acteur majeur. Mais que ce soit à Lyon ou à Sochaux, on ne peut plus conserver les mêmes masses salariales.
Vous êtes partisan de la continuité à Sochaux. Cela signifie-t-il que vous n’allez pas vendre ? Difficile de le croire dans ce contexte que vous avez décrit.On vendra, bien sûr, car nous avons besoin de faire dégonfler cette masse salariale. Mais si certains clubs européens n’achètent pas, le marché risque d’être bloqué. Nous ne dégraisserons donc pas énormément. Mais, rassurez-vous, nous savons ce que nous voulons faire, qui nous voulons garder, qui nous pouvons vendre.
Y aura-t-il des joueurs auxquels vous fermerez la porte ?
Oui. Je le répète, nous savons lesquels nous sommes prêts à voir partir et ceux que nous retiendrons. Ça, c’est mon métier du mois de juin. Mais je ne donnerai pas de nom. C’est un business dont je ne parlerai pas.
Cela fait trois ans qu’on essaie de bâtir quelque chose, ce n’est pas pour tout sacrifier sur l’autel des envies de certains.
Que cela signifie-t-il exactement par rapport à l’équipe, au club ?
Que je ne suis pas un adepte des grands coups de volants. J’essaie donc de voir un peu plus loin que la fin du championnat. Une équipe est dessinée à trois ans d’ici avec les joueurs dont nous connaissons le potentiel, la mentalité. Je préfère ça plutôt que d’être constamment dans la mouvance, en reconstitution d’équipe. La nouveauté, il en faut, mais pas de trop. Et cela concerne aussi l’encadrement. Connaître les gens avec lesquels on travaille permet de passer beaucoup mieux les tempêtes.
Cela vaut-il aussi pour votre entraîneur, le staff qui est là depuis trois ans ?
Je ne vois pas pourquoi cela ne serait pas possible. Et ne me parlez pas d’usure. C’est quoi l’usure sur 20 clubs quand il y en a 15 qui jouent le maintien et 5 la Coupe d’Europe. Que la pression soit importante, OK. Mais la pression existe aussi pour celui qui met son argent dans le club. Tout le monde peut être usé à un poste, mais après c’est le caractère de chacun qui se révèle. C’est dur d’être coach dans un club pendant dix ans, mais c’est également compliqué d’être président, comme par le passé les Molinari, les Hamel etc. pendant 20 ans. Quand on voit les comptes d’un club, ça fait aussi passer quelques nuits blanches. Pourtant, on y vit aussi des moments de bonheur que peu de métiers peuvent vous donner.
Propos recueillis par Gilles Santalucia
"La formation, sujet tabou"
Alexandre Lacombe a également une position très affirmée sur
la formation dans le football français et à Sochaux.
« 4M€ d’investissement, c’est le coup de notre centre de
formation par année (N.D.L.R. Le 4e centre en France derrière
Rennes, Monaco, Toulouse). C’est énorme. Mais à Sochaux, la
formation est un besoin et une marque de fabrique. D’autres
clubs peuvent exister sans centre comme l’OM etc. À mon avis,
il y a urgence à se poser la question car le foot français met,
aujourd’hui, 100M€ dans les centres de formation alors qu’il en
perd 300 au total. Cela vaut-il le coup ? Combien de ces jeunes
issus des centres vont en Ligue 1, ou même Ligue 2 ? Si c’est
pour fabriquer des joueurs de National ou de CFA ou des
chômeurs.… Mais personne ne veut en parler. La formation
c’est noble alors… C’est un sujet tabou. Chaque club doit
pouvoir se poser la question et agir comme il le souhaite sans
règles fixées par l’ensemble du foot français. À Sochaux, nous
devons essayer de ne pas lâcher nos jeunes à 18 ou 19 ans mais
plus près des 25. Pourtant, ce soir (N.D.L.R. hier soir), si Menez
est en équipe de France, que Martin et Privat sont en espoirs,
je me dis que nous n’avons pas trop mal fait notre job ».
le 30/03/2011 à 00:00 par Propos recueillis par Gilles Santalucia (Le Pays)