Lundi, une tête de porc a été découverte sur le chantier du nouvel édifice, dont la construction suscite la polémique. Certains y voient la patte de l'extrême droite.
Par Thomas CALINON
QUOTIDIEN : jeudi 26 octobre 2006
Strasbourg correspondance
La communauté musulmane dénonce un «acte ignoble». Pour le maire de Belfort, Jean-Pierre Chevènement (MRC), c'est une «immonde provocation». Nicolas Sarkozy, ministre de l'Intérieur (et des cultes), a fait part de son «indignation» et de sa «tristesse» face à cette «offense particulièrement abjecte» : dans la nuit de dimanche à lundi, une tête de porc fraîchement tranchée a été déposée, groin en l'air, sur une embrasure de fenêtre de la future mosquée centrale de Belfort, actuellement en construction. Le mur adjacent a été maculé de sang animal sur toute sa hauteur. Pas de revendication.
Lundi matin, les fidèles ont appris la nouvelle lors de la prière, dans un ancien local de l'Armée du Salut qui sert de lieu de culte provisoire. «Les gens ont réagi avec effroi et indignation», relate Kader Kaddouri, président du Comité des musulmans du Territoire de Belfort (CMTB), l'association qui porte le projet de la mosquée centrale, évalué 2,5 millions d'euros. «C'était la fin du ramadan, l'Aïd el-Fitr, une fête de pardon et de fraternité. Je leur ai demandé de laisser la police et la justice faire leur travail.»
«Pas de tatouage». Pour le moment, l'enquête n'a pas donné grand-chose. «Il n'y a pas d'habitations autour du chantier, alors au niveau de l'enquête de voisinage, c'est même pas la peine. Et puis on n'a aucune traçabilité possible au niveau de la tête de porc, pas de tatouage, rien», commente un enquêteur.
Dans un communiqué, Jean-Pierre Chevènement accuse : «Cette manifestation de haine est le résultat prévisible de la campagne démagogique, hypocrite et irresponsable menée contre le projet de mosquée centrale de Belfort.» Il vise sans le nommer Christophe Grudler, chef de file (DVD) de l'opposition municipale et de la contestation contre ce projet. «On le tient pour moralement responsable de ce qui se passe, à cause de toute l'agitation qu'il a suscitée», abonde Saïd Meftah, porte-parole du CMTB. Au printemps, Christophe Grudler a organisé plusieurs manifestations et lancé une pétition qui a recueilli, selon lui, 10 000 signatures.
Son credo : la «défense du patrimoine». La ville de Belfort a mis à disposition du CMTB, via un bail emphytéotique à loyer symbolique, un terrain proche des fortifications de la citadelle édifiée par Vauban à la fin du XVIIe siècle. Grudler et ses partisans pensent qu'en «accordant un permis de construire un édifice moderne dans le périmètre historique, la municipalité a totalement ruiné nos chances d'inscription au patrimoine de l'Unesco». Ils réclament que la mosquée soit édifiée ailleurs. La ville réfute l'argumentation : «Le terrain est en dehors du périmètre fortifié classé, affirme Jacky Drouet, premier adjoint au maire. M. Grudler se défend d'attiser la colère contre les musulmans, mais on voit bien que, derrière lui, il y a des gens qui sont là pour des motivations plus obscures que la défense du patrimoine.» Trois membres du groupuscule d'extrême droite Jeunesses identitaires ont été interpellés pour incitation à la haine raciale, au mois d'avril, en marge d'une marche contre le projet de mosquée organisée par Christophe Grudler.
Grue. Ce dernier, qui «condamne avec fermeté l'acte honteux» commis contre la mosquée, estime qu'il n'a «pas à rougir de [son] action». Le CMTB s'étonne tout de même que personne n'ait mis en avant la «défense du patrimoine» à l'époque où s'élevaient, à la place de l'actuel chantier, un foyer pour travailleurs migrants et une mosquée aménagée dans un bâtiment préfabriqué. «Depuis cinquante ans, il n'y a jamais eu de problèmes avec les musulmans à Belfort», fait remarquer Kader Kaddouri. Désormais, il y en a. Avant que des mains anonymes ne déposent une tête de porc à la mosquée, d'autres ont sectionné le câble d'alimentation de la grue utilisée sur le chantier. D'autres encore, ou les mêmes, avaient incendié les panneaux représentant le futur édifice. Et les fidèles ont découvert des affiches du Front national sur les portes de leur mosquée provisoire.